La diffusion des films sur internet

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La diffusion des films sur Internet

PARTIE I ENJEUX JURIDIQUES DE LA DIFFUSION LEGALE DES FILMS SUR INTERNET

CHAPITRE I. L'ACQUISITION DES DROITS D'EXPLOITATION ET LA RECHERCHE D'UN MODELE ECONOMIQUE VIABLE

§1. COMPARAISON DE DEUX SYSTEMES DE GESTION DES DROITS

A. Le régime américain: la facilité du copyright
B. Le régime français et l'indivision
1. Le régime juridique de l'œuvre audiovisuelle
2. La présomption de cession de doits, une américanisation du régime?

§2. QUELLE CESSION POUR QUELLE REMUNERATION ?

A. L'urgente négociation des droits pour Internet
1. La délicate question de l'étendue des droits cédés avant le 1er janvier 1986
2. La cession automatique des droits après le 1er janvier 1986
3. L'obtention des droits: un parcours du combattant?
B. La rémunération des artistes
1.Les mécanismes de diffusion des œuvres
2. Des régimes juridiques propres à chaque diffusion
3. Quelle solution appliquer au réseau Internet?

CHAPITRE II. LES CONDITIONS PREALABLES A L'EXPLOITATION EN LIGNE DES ŒUVRES AUDIOVISUELLES

§1. LES DIFFERENTS MODES DE DIFFUSION

A. Le Streaming
B. Le Téléchargement (Download)
C. Le choix opéré par les diffuseurs

§2. L'IMPOSSIBILITE D'ASSURER UNE PROTECTION PARFAITE DES OEUVRES SANS MENACER LES DROITS DES CONSOMMATEURS

A. Des limites techniques assorties d'une protection juridique
1. Les systèmes imaginés pour sécuriser les échanges
2. Une inflation législative inadaptée
B. Des mesures techniques inefficaces et attentatoires au droit des consommateurs?
1. L'Echec des tentatives
2. L'exception de copie privée menacée

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PARTIE II. LA CONTREFACON PAR LA DIFFUSION ILLEGALE DES FILMS SUR INTERNET

CHAPITRE I. LES METHODES UTILISEES POUR LE PIRATAGE DES FILMS

§1. LE PIRATAGE DES DVD

A. "CSS" contre "DeCSS"
1. Problématique
2. Une protection originale des DVD: le système "CSS"
3. Les risques liés à l'utilisation du "deCSS"
B. Le format DivX;-): le Mp3 de la vidéo?
1. L'intérêt technique du DivX ;-)
2. Les origines du DivX ;-)
3. La réalisation d'un DivX ;-)

§2. LA DIFFUSION DES ŒUVRES SUR LES RESEAUX VIA LES SYSTEMES PEER TO PEER

A. Les origines du Peer to Peer
B. Le Peer to Peer Centralisé
C. Le Peer to Peer Décentralisé
D. Vers d'autres systèmes plus agressifs
E. Perspectives technico-juridiques

CHAPITRE II. COMMENT ASSURER UNE JUSTE REMUNERATION A L'AUTEUR?

§1. LA REMUNERATION DE LA COPIE PRIVEE PAR UNE TAXE SUR LES SUPPORTS VIERGES

A. Origines de la rémunération pour copie privée
B. L'organisation de la perception des sommes
1. Les assujettis
2. Les organismes collecteurs
3. La détermination des taux
C. La redistribution des sommes perçues
1. Quels sont les bénéficiaires de la rémunération pour copie privée concernant les œuvres audiovisuelles?
2. Comment sont reversé les droits?
3. L'efficacité du système: de la compensation équitable à une véritable rémunération

§2. VERS UN AUTRE MODELE DE DIFFUSION SANS INTERMEDIAIRES: LA CULTURE POUR TOUS.

A. La rhétorique du conflit: du consommateur au pirate
1. Une répression accrue et pourtant inefficace de la contrefaçon
2. La copie privée: une menace pour les auteurs?
B. Du pirate au consommateur
1. La culture pour tous: un rêve inaccessible?
2. Vers une diffusion directe des oeuvres par les auteurs

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Imaginez qu'une simple pression sur la télécommande de votre téléviseur, vous donne accès à plusieurs millions de films, disponibles à tout moment, sans contrainte d'heure ou de date. En faisant défiler la liste qui apparaît à l'écran, vous tombez par hasard sur un vieux film datant de votre enfance, que vous pensiez perdu pour toujours et qui pourtant, ressurgit soudain de l'oubli dans lequel il était tombé.
Plus tard, un ami expatrié au japon vous suggère, par mail, d'aller voir le dernier film français d'art et d'essai, sorti la veille en salle; lui-même l'a téléchargé hier en français, depuis son ordinateur portable, il l'a adoré.

Pendant les cinq heures de route qui vous mèneront au fin fond de l'Ardèche, vos enfants, à l'arrière, regardent sagement le dernier épisode de leur série préférée. Dans le petit village vers lequel vous vous dirigez, les habitants ont repris l'habitude de sortir le soir, délaissant leurs téléviseurs, pour se diriger vers le nouveau cinéma du village. Celui ci ne peut accueillir qu'une cinquantaine de personnes mais les derniers films à la mode sont pourtant présents à l'affiche, récupérés depuis un satellite et stockés ensuite sur le gros disque dur, à coté du projecteur numérique. D'ailleurs, comme les copies ne s'usent plus, des séances sont organisées tout au long de la journée, et la programmation varie en fonctions des demandes des habitants.

Non, vous ne rêvez pas, il ne s'agit pas de l'introduction d'un roman d'anticipation, mais bien de celle d'un mémoire consacré aux nouveaux modes de diffusion des films. Depuis la naissance du cinéma muet en 1895 , les films sont devenus une source inépuisable de divertissement et de culture. Nous en "consommons" chacun, plusieurs centaines par an. Des millions de gens à travers le monde allument chaque soir leur téléviseur, pour s'offrir 1h30 de spectacle pendant que d'autres se dirigent vers la salle de cinéma la plus proche. Les films sont probablement le mode de divertissement le plus largement partagé, bien avant la littérature ou la musique, et ce phénomène n'est pas prêt de se tarir lorsqu'on voit combien de nouveaux films sont produits chaque année.
La plupart des techniques évoquées plus haut, ont déjà dépassé le stade expérimental et nous seront accessibles dans un avenir très proche. Elles reposent toutes sur deux phénomènes principaux: la numérisation des oeuvres et le développement des réseaux informatiques.

La numérisation d'abord, consiste à convertir une image ou un son, en une succession de 0 et de 1 compréhensible par une machine. C'est ce langage binaire, qui fait l'objet d'une suite de calculs par un ordinateur pour devenir intelligible à l'homme. Une des principales caractéristiques du numérique est de ne pas être altéré par les lectures successives comme l'est un support analogique tel qu'une pellicule, ou une cassette VHS. En outre, une copie numérique réalisée à partir d'un support numérique sera parfaitement fidèle à l'originale et pourra elle-même devenir la source d'autres copies. En réalisant un ensemble de calculs sur cette suite de nombres binaires, il est possible de réduire considérablement l'espace physique occupé par le message qu'il contient.
Cette technique de compression numérique permet actuellement de stocker un film long métrage sur un simple CD-Rom. Il en résulte une perte de qualité certaine, mais cette technologie progressant, il sera bientôt possible de stocker plusieurs films sur ce même support avec une perte de qualité minime.
L'autre facteur d'évolution est le développement des réseaux mondiaux d'échange de données à haut débit. N'importe quel message numérisé peut être transmis d'un bout à l'autre de la planète sous forme de signal électrique, en un temps record. L'Internet est une partie de ces réseaux. L'accès au réseau des réseaux , se fait le plus souvent via un raccordement filaire, mais le développement des réseaux de téléphonie mobile, et des réseaux privés sans fils devraient rapidement permettre de s'affranchir de ce fil à la patte .
La combinaison de ses deux techniques bouleverse considérablement les modes de diffusion des biens immatériels que sont les livres, la musique, et maintenant les films.


L'industrie du film évolue, et il est probable qu'à l'avenir les films seront de plus en plus souvent tournés directement en numérique, comme l'ont été "Vidocq" et "Starwar" (L'attaque des clones). Déjà les industriels s'organisent et mettent au point de nouveaux projecteurs numériques permettant de concurrencer les classiques projecteurs 24 millimètres utilisés dans les cinémas . A terme, l'utilisation des réseaux de satellites, devrait permettre d'envoyer les films directement dans les salles et de les stocker sur des disques durs, sans avoir besoin de manipuler, comme c'est le cas actuellement, de lourdes bobines.
Concernant les particuliers, la démocratisation de l'Internet à haut débit, permet son utilisation pour la visualisation de films à domicile . Là encore la technologie numérique permet de choisir parmi un vaste choix de films, puisqu'il n'est plus nécessaire de les stocker physiquement au sein d'un vidéoclub, ou d'utiliser de précieuses ressources hertziennes pour les diffuser. L'essor de cette technologie pourrait permettre, à terme de s'affranchir des programmes télévisés habituels, en ayant désormais la possibilité de choisir quel film vous voulez regarder et surtout à quel moment. La télévision classique pourrait alors se limiter à la diffusion de programmes de flux, comme les informations, les émissions de plateaux et les reportages. De multiples "chaînes" proposant ce type de services, fleurissent d'ailleurs actuellement en ligne et pourraient rapidement concurrencer la diffusion hertzienne classique.

Les principales entreprises de productions cinématographiques ont rapidement compris l'intérêt de ce type de diffusion et commencent à proposer sur Internet différents portails de diffusion de films. Cependant la réalisation d'un film nécessite de nombreux intervenants dont certains bénéficient de droits d'auteur sur l'œuvre finale (réalisateur, compositeur, acteurs, producteur…). La mise en ligne d'un film cinématographique nécessite donc l'autorisation préalable de ses auteurs ou encore une cession de leurs droits au bénéfice d'une personne habilitée à les exploiter. Actuellement deux mécanismes principaux régissent la gestion de ces droits à travers le monde: le système anglo-saxon du copyright et le modèle latin des droits d'auteurs tels qu'il est utilisé en Europe.

Malgré un certain nombre de similitudes, ces deux régimes ne concentrent pas les droits d'auteurs entre les même mains. Pour cette raison, la mise en ligne d'œuvres cinématographiques pourrait se révéler une tâche plus ardue en Europe qu'outre atlantique. Cependant, pour parvenir à convaincre les auteurs du bien fondé de cette mise en ligne de leurs oeuvres, il faut leur démontrer la source de revenus potentiels qu'elle représente. En outre, les auteurs, et plus encore leurs producteurs craignent, à juste titre, que les œuvres mises en ligne fassent l'objet d'un grand nombre de copies, réalisées par des particuliers, grâce aux facilitées procurées par le tout numérique. Afin d'endiguer le phénomène, les principales majors exercent une pression constante afin que soient mise en place de nouvelles mesures de protections des œuvres, à la fois techniques et juridiques.
Cependant, ces mesures, que nous étudierons bien sûr, sont susceptibles de provoquer autant de blocages à la diffusion de l'art et de la culture et donc de s'exercer en définitive au détriment des consommateurs.

Pourtant, ces mesures semblent nécessaires dès lors que l'on prend conscience de l'ampleur considérable du piratage qui s'exerce sur les réseaux. La contrefaçon "matérielle", concernant par exemple la copie et l'importation d'objets de grandes marques, ou même le pressage dans des ateliers clandestins d'imitations de CD, à toujours existée. Cependant, elle nécessite de lourds moyens matériels, ainsi qu'un réseau de diffusion particulièrement organisé. La nécessité pour les contrefacteurs de manipuler et de transporter le produit de leur industrie permet de la déceler et de la condamner de plus en plus facilement. En revanche, la contrefaçon d'œuvres sur les réseaux ne nécessite pas de moyens très complexes et peut surtout s'opérer dans la clandestinité la plus totale. Les systèmes d'échanges sur les réseaux informatiques ont déjà fait couler beaucoup d'encre, concernant la circulation de fichiers musicaux. Nous avons tous en mémoire, les débats juridiques qui ont entouré la condamnation du site d'échange de fichiers musicaux "Napster". Même si le droit a depuis lors, rapidement évolué, de manière à pouvoir appréhender ce type de comportement, les moyens matériels permettant de l'appliquer ne sont pas encore au point. En raison de ces risques bien réels, l'offre légale de films en ligne tarde à se développer. De nombreux utilisateurs du réseau Internet, utilisent donc souvent, faute de mieux, les réseaux d'échange gratuits qui fleurissent ça et là sur le réseau, au fil des condamnations et fermetures dont ils font l'objet.

La diffusion des films sur Internet, outre ses aspects sociologiques et économiques que nous laisserons à d'autres le soin de développer, pose donc un certain nombre de problèmes juridiques. S'agissant, rappelons le, de biens immatériels, fruits d'un travail intellectuel, leur commerce ne peut s'analyser selon les règles classiques du droit de la propriété. Les questions que soulèvent les œuvres cinématographiques doivent donc s'analyser au regard des règles régissant la propriété littéraire et artistique. Biens que la doctrine se soit déjà saisie de ces nouveaux modes de diffusions de la culture et de l'art, la plupart des travaux réalisés jusqu'à présent se concentre sur la diffusion des œuvres musicales. Même si un certain nombre des problèmes déjà évoqués, intéressent aussi la diffusion des films, certaines interrogations propres à ce média demeurent. Ce mémoire à pour ambition de recenser ces problèmes, de nature souvent technique, pour tenter de découvrir ensuite de quelle manière le droit est susceptible de les appréhender, et donc à terme de les résoudre.

Cependant, l'essor de la technologie numérique soulève un certain nombre de questions plus profondes concernant notamment l'accès des consommateurs à la culture et au divertissement. Le développement des réseaux bouleverse en effet de manière notable les habitudes de consommation jusque là observées. Le droit de la propriété littéraire et artistique se doit de tenir compte de ces nouvelles habitudes, tout en conservant le savant équilibre qui avait présidé à sa naissance. Celui la même qui fut évoqué en 1568, par exemple, dans l'affaire dite "Muret". Elle fut l'occasion pour l'avocat Marion de développer la thèse selon laquelle "l'auteur d'un livre en est du tout maître et comme tel peut en disposer librement, même le posséder toujours sous sa main privée, ainsi qu'un esclave". Et il ajoutait: "La raison en est que les hommes, les uns envers les autres, par un commun instinct, reconnaissent tant chacun d'eux en son particulier, être seigneur de ce qu'il fait, invente et compose" . L'acte de publication était vu comme une convention entre l'écrivain et le public, le premier donnant au second accès à son œuvre à la condition que le second lui reconnaisse la pleine possession de sa création. En donnant raison à Marion, le Parlement fit entrer la propriété littéraire dans la jurisprudence, et posa sans le savoir les bases actuelles du droit d'auteur. Près de cinq siècles plus tard, il semble que ce droit ait réussit à arbitrer de façon juste et équitable ce délicat équilibre entre les droits d'un auteur sur son œuvre, et ceux d'un public toujours avide de découvrir et de s'approprier cette oeuvre. Ce droit à jusqu'à présent tenu ses promesses, puisqu'il a réussi à s'adapter plutôt bien aux multiples évolutions techniques auxquelles il a été confronté tels que l'imprimerie, la radio, le cinéma, ou encore la télévision. Si l'intégration des nouvelles technologies au sein des normes du droit d'auteur a déjà largement commencée, elle n'est pourtant pas encore achevée, comme le montrent les nombreux textes discutés ou sur le point d'être adoptés.


Afin de couvrir le plus exhaustivement possible les aspects de la propriété intellectuelle applicables à la diffusion des films sur Internet, j'ai souhaité dissocier clairement la diffusion des films réalisée dans un cadre légal (I) pour mieux l'opposer à celle, parfaitement illégale, qui sévit actuellement sur les réseaux (II).

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PARTIE I

ENJEUX JURIDIQUES DE LA DIFFUSION LEGALE DES FILMS SUR INTERNET

La "consommation" de films par les ménages est en progression constante, comme l'atteste le succès des offres de programmes de cinéma par câble ou par satellite, la multiplication des vidéoclubs et l'engouement actuel pour les ensembles de Home-Cinema.

Il semble que les habitudes et les modes de consommation évoluent, et le réseau Internet n'est pas étranger à ces bouleversements: média parfait par définition, (puisqu'il permet de véhiculer tout à la fois de la musique, du texte, ou des images animées) son usage en tant que source de diffusion de films est encore peu connu mais mérite d'être étudié en détail.
Afin de pouvoir intéresser un large public, aux goûts nécessairement éclectiques, il est indispensable que les entreprises désireuses de proposer un contenu payant sur le réseau offrent une large gamme de films. Il semble que les industries américaines et européennes ne disposent pas, dès lors, des mêmes facilités pour réaliser l'acquisition des doits portant sur ces films. Une réforme devrait donc être engagée, tenant compte des modalités de rémunération des artistes (Chapitre I). En outre, cette cession de droits et donc cette diffusion ne pourra véritablement se généraliser qu'à la condition de pouvoir garantir aux auteurs un respect minimum de leurs droits, sans, non plus, porter atteinte aux droits des consommateurs. Les maisons de production et les fabricants de matériel audiovisuel s'y emploient sans relâche, mais pour un résultat encore bien maigre(chapitre II).


Chapitre I. L'acquisition des droits d'exploitation et la recherche d'un modèle économique viable


Il semble que l'industrie cinématographique n'ait pas souhaité reproduire les erreurs commises par l'industrie musicale. Cette dernière, rappelons-le, avait été largement prise de court par le développement rapide et inattendu des systèmes d'échange de musique en ligne de type "Napster".

Les majors du disque avaient en effet mis beaucoup de temps pour s'accorder sur la gestion des droits, chacune d'entre elles souhaitant développer son propre site de diffusion de musique sans, bien sûr, bénéficier des droits détenus par les autres compagnies. A l'arrivée, le consommateur ne s'y retrouvait pas, puisque aucun site ne proposait un contenu exhaustif, ou tout au moins varié comme le font en général les grands disquaires . La problématique entretenue sur la sécurité des moyens de paiements, à laquelle s'ajoute la facilité de trouver gratuitement sur le web le contenu souhaité, ont freiné considérablement le développement de la vente en ligne de musique, et les majors sont encore loin d'un véritable équilibre financier concernant la diffusion en ligne.

Contrairement au monde de la musique, les producteurs cinématographiques semblent avoir décidé de s'allier plutôt que de se combattre.
Cependant, si les producteurs américains arrivent progressivement à ce résultat, grâce aux facilités du copyright concernant l'investissement (§1), les pionniers européens de la diffusion de film en ligne éprouvent quelques difficultés pour rassembler un catalogue digne de ce nom (§2).


§1. COMPARAISON DE DEUX SYSTEMES DE GESTION DES DROITS

Les deux principaux systèmes de gestion des droits utilisés à travers le monde sont d’une part le système anglo-saxon du « Copyright » (A) et, d’autre part, le système des droits d’auteur notamment utilisé en France (B).


A. Le régime américain: la facilité du copyright

Il n'échappera pas au lecteur que la condition préalable à la diffusion légale de films en ligne est la constitution d'un large catalogue d'œuvres cinématographiques. En effet, un tel système n'est viable économiquement qu'a la condition de pouvoir intéresser un large public, susceptible de constituer une clientèle fidèle, en recourant par exemple au système de l'abonnement. Les goûts variés de ce public nécessitent évidement un grand choix de films. Or l'achat des droits, qu'ils soient négociés au niveau de chaque producteur, ou plus simplement par l'intermédiaire de majors, sont toujours très coûteux. Pour espérer rentabiliser l'investissement, il faut nécessairement pouvoir s'appuyer sur une clientèle la plus vaste possible.

Rarement en retard dès lors qu'il s'agit d'investissements lucratifs, les principales majors américaines se sont récemment associées pour proposer à l'internaute un vidéoclub virtuel susceptible de les séduire.
Le 16 août 2001, les principaux studios de production cinématographique d'Hollywood ont donc annoncé leur alliance pour la création d'un service de distribution de films à la carte sur Internet. Metro-Goldwyn-Mayer Studios, Paramount Pictures, Sony Pictures Entertainment, Universal Studios et Warner Brothers se sont depuis, regroupés sur une plate-forme commune baptisée "internetmovies.com" destinée aux internautes américains connectés à haut débit. Ce site propose un vaste choix de films américains dont, notamment, la plupart des derniers succès hollywoodiens. Cependant, ces films ne sont disponibles qu'en anglais non sous-titré, et ne seront donc accessibles qu'à une poignée d'Européens.
Les films américains sont donc désormais bien présents sur le réseau, mais il semble néanmoins que le régime du copyright facilite grandement la gestion de la chaîne des droits d'auteur.

Le système américain du copyright est en effet bien différent du régime de droit d'auteur français tel que nous le connaissons. Dans le régime du droit d'auteur, les droits appartiennent au départ et avant tout à l'auteur (Article L.111-1 cpi ) . L'auteur étant (selon une formule du professeur Desbois) celui qui donne une partie de lui-même. L'œuvre existe donc dès lors qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur. Selon Laurent Duvillier l'empreinte de la personnalité est un morceau de soi-même qui est donné à la collectivité, c'est le fondement du droit d'auteur. Il s'agit là de l'essence même du droit moral de l'auteur qui constitue une des principales différences avec le copyright anglo-saxon.

Le régime américain du copyright fonctionne, lui, selon le principe que les droits sur une œuvre appartiennent non pas à son créateur, mais à celui qui finance et dirige l'activité artistique. La quasi-totalité des droits se retrouve donc, le plus souvent concentrée entre les mains d'une seule et même personne: le producteur. Le régime du copyright en matière audiovisuelle ne fait pas grand cas du travail des différents auteurs. Le film est le plus souvent vendu par ses auteurs au producteur comme n'importe quel bien marchand. Plus aucun droit moral ne relie l'auteur à son film, si ce n'est l'indication de son nom.
Pour cette raison le producteur peut remercier le réalisateur en cour de tournage, modifier le montage final puisqu'il dispose du fameux "final cut", ou bien encore, et surtout, diffuser le film sur Internet sans demander l'accord préalable de qui que ce soit. Ainsi, les catalogues de films américains peuvent être mis en ligne dès demain, sans qu'aucune démarche juridique ou de négociation avec les auteurs ne soit nécessaire.
En effet, les titulaires du copyright jusqu'aux lois récentes de 1988 en Grande Bretagne et 1990 aux Etats-Unis, ne disposaient que de droits de nature pécuniaire, à l'exclusion de tout droits moraux. L'objectif était donc plus une incitation à la production qu'a la récompense du créateur. L'auteur est rémunéré en contrepartie de la vente de son travail, mais son œuvre une fois vendue lui échappe complètement. Elle pourra par exemple être modifiée, amputée, ou jointe à une autre.
Le système du copyright pourra troubler voire choquer l'auteur européen habitué à une plus grande reconnaissance de son travail. La critique peut sans doute trouver matière à s'exercer en ce qui concerne l'auteur classique: le peintre dans son atelier, l'écrivain à sa table de travail qui créent chacun isolément et devraient pouvoir disposer seuls des fruits de leurs travaux. Cependant, la gestion de la chaîne des droits en matière cinématographique s'accommode mal du régime de droit d'auteur classique. Dans cette hypothèse l'auteur, ou plus exactement les auteurs ne créent pas de manière isolée mais s'associent au contraire en vue de la réalisation d'un projet commun. Ce projet de film nécessite en outre des investissements considérables qui sont le plus souvent amenés par l'intermédiaire du producteur. Les autres intervenants ne participent généralement pas au risque financier de l'opération.

Tous les artistes auxquels j'ai pu demander leur point de vue, qu'ils soient acteurs, scénaristes, ou réalisateurs conviennent unanimement, qu'il serait parfaitement normal que le producteur bénéficie de très larges prérogatives afin de conduire le projet de film vers le but et la qualité artistique qu'il s'est fixé, et qu'il a choisi de financer. Il est d'ailleurs fréquent sur un film de changer d'acteurs au dernier moment, voire de réalisateur en cours de tournage. Nul ne semble s'en offusquer outre mesure, la seule personne véritablement irremplaçable demeurant le producteur. A titre d'exemple, si tout le monde attribue la paternité du film "Gone With the Wind" au producteur David O. Selznick, nul ne s'est jamais préoccupé de déterminer l'apport respectif des trois réalisateurs qui se sont succédés .
Bien que les régimes du droit d'auteur et du copyright divergent quant à leur philosophie, force est de constater que sur les deux rives de l'Atlantique, les auteurs, producteurs et autres intermédiaires n'ont de cesse de vouloir rapprocher ces deux régimes. Cela est à ce point vrai, que le régime du droit d'auteur français en matière audiovisuelle se rapproche très fortement du régime anglo-saxon, sans parvenir cependant à la même souplesse de diffusion et de circulation des œuvres.

De nombreux "blocages" demeurent, empêchant le cinéma français et plus généralement européen, d'accéder à la juste diffusion à laquelle il pourrait pourtant prétendre, du seul fait de ses qualités artistiques.
Nous verrons cependant, par la suite, qu'en matière audiovisuelle, le régime français se rapproche davantage du régime américain du copyright.

B. Le régime français et l'indivision

Comme je l'ai dit, le droit d'auteur sur les œuvres audiovisuelles n'a pas encore réussi à s'affranchir de certaines barrières, dont le franchissement est indispensable pour permettre une diffusion en ligne des œuvres françaises et plus généralement européennes.
Afin de pouvoir diffuser une œuvre cinématographique sur le réseau, encore faut-il bénéficier d'une cession de droit ou tout au moins d'une licence adaptée. Le système du droit d'auteur français, bien que tourné tout entier vers le producteur, ne parvient pas à se détacher complètement du rôle et donc des droits des auteurs sur le films.
Afin d'analyser concrètement les limites du régime actuel, il convient d’évoquer le régime juridique de l’œuvre audiovisuelle en droit français (1), pour ensuite découvrir de quelle manière celui-ci se rapproche du système américain (2).


1. Le régime juridique de l'œuvre audiovisuelle

La doctrine, puis le législateur, ont longtemps hésité sur le régime juridique à appliquer à ce type d'œuvre. L'article L.112-2 du cpi définit les œuvres audiovisuelles comme "des séquences animées d'images, sonorisées ou non". Restait encore à classer ce type d'œuvre, selon les catégories proposées par le code de la propriété intellectuelle. Trois qualifications sont dès lors envisageables: œuvre dérivée ou composite, œuvre collective et œuvre de collaboration. La qualification d'œuvre composite n'a jamais suscité d'enthousiasme; les deux autres possibilités ont soulevé encore davantage de controverses puisqu'elles ne peuvent se cumuler. Un choix difficile devait donc être opéré puisque si le statut d'œuvre de collaboration impose une indivision des droits toujours préjudiciable, le statut d'œuvre collective confère des droits au seul promoteur, c'est à dire le producteur dans le cas qui nous occupe, au détriment des autres contributeurs.

La loi n°57-98 du 11 mars 1957, instituant le code de la propriété intellectuelle n'a jamais vraiment résolu le problème et de nombreuses querelles doctrinales ont donc eu lieu. La doctrine majoritaire représentée notamment par André et Henri-Jacques Lucas , soutenait la qualification d'œuvre de collaboration, et s'opposait aux positions minoritaires du Professeur Galloux défendant la qualification d'œuvre collective .
Quelques rares décisions de jurisprudence postérieures à la loi du 11 mars 1957 avaient tenté de proposer une qualification de l'œuvre collective en œuvre de collaboration. Le tribunal de commerce de Paris semble l'avoir admis le 17 juin 1991 à propos d'un film publicitaire, mais sans véritable démonstration, de même que la Cour d'appel de Paris dans une décision du 6 juillet 1989 concernant l'affaire "Huston". La décision, presque unanimement critiquée avait été ensuite cassée par la cour de Cassation le 28 mai 1991 .
L'étude des travaux préparatoires de la loi, ainsi que la fin des errements de la Cour d'appel de Paris mettant fin à la division doctrinale, la qualification d'œuvres de collaboration semble l'emporter.

Le régime d'œuvre de collaboration bénéficie néanmoins, en matière audiovisuelle, d'aménagements particuliers ayant pour objet de définir très clairement la titularité des auteurs et l'étendue de leurs droits. Le fait que l'œuvre audiovisuelle n'ait pas été qualifiée d'œuvre collective empêche de faire naître directement l'ensemble des droits patrimoniaux et moraux sur la tête du seul producteur.
Cependant depuis l'adoption de la loi du 11 mars 1957, et pour les contrats postérieurs à l'entrée en vigueur de la loi, le producteur bénéficie d'une présomption de cession de certains droits, de part la conclusion du contrat de production audiovisuelle.


2. La présomption de cession de droits, une américanisation du régime?

Ainsi, l'article L.132-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que:

"Le contrat qui lie le producteur aux auteurs d'une oeuvre audiovisuelle, autres que l'auteur de la composition musicale avec ou sans paroles, emporte sauf clause contraire et sans préjudice des droits reconnus à l'auteur par les dispositions des articles L. 111-3, (…)à 132-7, cession au profit du producteur des droits exclusifs d'exploitation de l'œuvre audiovisuelle.
"Le contrat de production audiovisuelle n'emporte pas cession au producteur des droits graphiques et théâtraux sur l'œuvre".
"Ce contrat prévoit la liste des éléments ayant servi à la réalisation de l'œuvre, qui sont conservés ainsi que les modalités de cette conservation."
Ainsi par le biais de cet article, le producteur se retrouve titulaire de l'ensemble des droits patrimoniaux des auteurs de l'œuvre audiovisuelle. Afin d'éviter les difficultés d'appréciation du terme auteur, le code prend soin de définir lui-même les personnes pouvant bénéficier de cette qualité. L'article L.113-7 du code de la propriété intellectuelle dispose en effet:
"Ont la qualité d'auteur d'une oeuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette oeuvre.
Sont présumés, sauf preuve contraire, coauteurs d'une oeuvre audiovisuelle réalisée en collaboration :
1° L'auteur du scénario ;
2° L'auteur de l'adaptation ;
3° L'auteur du texte parlé ;
4° L'auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l'œuvre ;
5° Le réalisateur.
Lorsque l'œuvre audiovisuelle est tirée d'une oeuvre ou d'un scénario préexistant encore protégés, les auteurs de l'œuvre originaire sont assimilés aux auteurs de l'œuvre nouvelle".

Sont donc à priori considérés comme coauteurs de l'œuvre audiovisuelle ceux dont les fonctions entraînent généralement une intervention dans l'univers des formes. Mais s'il est démontré qu'il n'y a eu aucune contribution originale de leur part, la présomption pourra être écartée.
De même, sont en principe exclus, du bénéfice de la qualité d'auteur, tout une série d'intervenanst tels que les cadreurs, décorateurs, costumiers, ingénieurs du son, monteurs, ou encore comédiens (dont la qualité d'auteur avait d'ailleurs été refusée avant même que ceux-ci se voient reconnaître des droits voisins par la loi n°85-660 du 3 juillet 1985).

Si nous savons donc désormais quels sont les titulaires des droits à l'origine de la création et à l'issue de la présomption de cession, reste encore à définir l'étendue de ces droits. C'est dans cette hypothèse qu'il convient de préciser l'étendue des droits cédés qui est susceptible de varier selon que la cession est intervenue avant ou après le 1er janvier 1986, date d'entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 1985.



§2. QUELLE CESSION POUR QUELLE REMUNERATION ?

En droit français, la cession des droits (A) et la rémunération des auteurs (B) n’obéissent pas à des régimes juridiques unitaires. Il convient donc de faire un certain nombre de distinctions, essentiellement conditionnées par la date de réalisation du film et le mode de diffusion envisagé.


A. L'urgente négociation des droits pour Internet

Les évolutions introduites par la loi n°85-660 du 3 juillet 1985 facilitent désormais la gestion de la chaîne des droits (2). De nombreuses questions se posent cependant pour les films réalisés avant cette date, qui n'en méritent pas moins d'être largement diffusés sur le réseau (1). En définitive, l’acquisition des droits se révèle être une étape difficile de la mise en ligne (3).


1. La délicate question de l'étendue des droits cédés avant le 1er janvier 1986

S'agissant des contrats conclus avant le 1er janvier 1986, la présomption ne concerne que les seules œuvres cinématographiques et cette présomption est d'interprétation restrictive puisque ne sont présumés cédés que les seuls droits exclusifs d'exploitation cinématographique. Tous les autres modes d'exploitation doivent alors faire l'objet d'une mention distincte dans le contrat en vertu de l'article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle.

Concrètement, cela signifie que les droits d'exploitation sous forme de cassettes vidéo et plus particulièrement sous forme de diffusion sur les réseaux ne sont pas accordés, du seul fait de la signature du contrat de production audiovisuelle, au producteur. Une mention spéciale est nécessaire. Cette solution, appliquée par les tribunaux , a été rappelée par une réponse ministérielle publiée au Journal officiel du 8 septembre 1988.
Il est évident que les producteurs des films tournés avant 1986 ne pouvaient imaginer et donc prévoir dans leurs contrats la possibilité d'une diffusion des films sur le réseau Internet.

En conséquence, un producteur sollicité par un diffuseur, désireux de disposer des droits de diffusion d'un film sur Internet, devra effectuer un travail titanesque de recherche des différents ayant droits, afin de leur faire signer une nouvelle cession de droits permettant l'exploitation sur les réseaux.


2. La mise en place d'une cession automatique des droits après le 1er janvier 1986

Les solutions sont heureusement différentes en ce qui concerne les contrats conclus depuis le 1er janvier 1986 puisque la portée de la présomption de cession a été élargie par la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985. Pour autant la cession n'est pas vraiment totale.
L'élargissement est réel puisque la présomption de cession s'applique désormais à toutes les œuvres audiovisuelles (et non plus seulement cinématographiques) et que la cession vaut pour tous les modes d'exploitation (exploitation dans les salles mais aussi à la télévision, par cassettes vidéo ou sous d'autres formes, dont la diffusion sur les réseaux) et pour le monde entier.

Toutefois, il subsiste certaines limites: en premier lieu, conventionnelles, puisqu'une clause contraire est toujours possible (en pratique, elle est rare en raison de la puissance du producteur), en deuxième lieu, légales; ces dernières concernent certains apports ou droits puisqu'elles sont hors du champ de la cession.

Il s'agit en premier lieu, des œuvres musicales. Cette solution a été posée par la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 et a été justifiée par des pratiques remontant à l'époque du cinéma muet. Il s'agira en outre des droits graphiques et théâtraux sur l'œuvre. Si la formule est claire concernant le théâtre elle l'est beaucoup moins concernant les droits graphiques. Selon une réponse ministérielle, il s'agirait "des droits d'adaptions pour réaliser une œuvre destinée à l'édition telle qu'une bande dessinée". Mais quand est-il de l'exploitation de l'œuvre sous la forme dérivée d'un roman, ou sous la forme d'un logiciel interactif. Doit-on alors raisonner par genre ou par support? Il s'agira enfin, des droits d'exploitation séparés des différents apports. Les différents participants à l'œuvre audiovisuelle (auteurs du dialogue du scénario,…) peuvent exploiter séparément leurs contributions personnelles (Ex: diffusion du scénario sur Internet) si cette exploitation ne nuit pas à la carrière de l'œuvre audiovisuelle prise dans son ensemble.

Concernant une exploitation de l'œuvre sur les réseaux, seule la première réserve concernant les œuvres musicales serait susceptible de poser problème. Même en se positionnant après la réforme instaurée par la loi de 1985, la cession n'est pas automatique et nécessitera donc une négociation avec le compositeur avant toute mise en ligne. En pratique, c'est le recours au contrat qui permettra dans la plupart des cas de contourner cette difficulté.

Ainsi, tous les contrats type des maisons d'auteurs, ou de celles gérant les droits des artistes interprètes intègrent désormais au titre de l'exploitation secondaire des œuvres une clause visant expressément la diffusion sur les réseaux à titre gratuit ou payant. Ces droits sont donc maintenant systématiquement détenus par les producteurs et plus généralement par les maisons d'auteurs qui pourront ensuite les négocier au cas par cas.


3. L'obtention des droits: un parcours du combattant?


La question de l'acquisition des droits est bien réelle. M. Laurent Dominati (Parlementaire) avait déjà eu l'occasion d'attirer l'attention du gouvernent sur cette question en la personne de Mme Tasca (Ministre de la culture et de la communication) par le biais d'une question au gouvernement du 8 octobre 2001. Il insiste en effet sur les "difficultés qu'éprouvent les producteurs de films français à obtenir, sur Internet, la diffusion des œuvres dont ils ont acquis les droits pour le cinéma et qui représentent un handicap supplémentaire face à l'extension très rapide de ce mode d'exploitation par les grandes compagnies américaines".
La réponse publiée au bulletin de l'Assemblée Nationale du 14 janvier 2002 (N° 67162) résume assez bien les difficultés que je viens d'évoquer et envisage une consultation générale organisée par le président du Centre National de la Cinématographie (CNC) destiné à faire naître un consensus. Les choses semblent pour le moment en être restées là.
Interrogés au mois de juillet, la SACD qui gère l'ensemble des droits des auteurs et compositeurs dramatiques et l'ADAMI (qui joue le même rôle concernant les droits voisins) ne semblent pas encore proposer de réponse adaptée. Leur rôle dans l'obtention des droits se limite en effet aux informations contenues dans leur base de donnée, concernant leurs seuls adhérents. Notons au passage que les juristes de la SACD que j'ai pu rencontrer ne semblaient pas vraiment concernés par la diffusion des films sur les réseaux. Les nombreux articles de presse consacrés à la technologie DivX (voir infra) ne semblent donc pas être arrivés jusqu'à eux, et les inquiétudes légitimes des majors hollywoodiennes ne semblent pas très contagieuses outre-atlantique.

La solution ultime, consistera donc à rechercher au sein du Registre Public du Cinéma et de l'Audiovisuel (RPCA) une trace des contrats d'auteur, de production ou des mandats de vente des droits des films, que ce registre est supposé contenir. Je n'ose imaginer les difficultés qui attendent un producteur, lorsque certains ayant droits sont décédés et qu'il importe alors de retrouver la trace d'éventuels légataires ou héritiers susceptibles d'accorder l'autorisation d'exploitation manquante. Ainsi, dans le cadre de la diffusion sur Internet du film "Les liaisons dangereuses" TF1 International qui détenait pourtant cette œuvre dans son catalogue, a toutefois pris soin de contacter tous les auteurs et d'obtenir leur autorisation explicite .

Cependant ce qui est possible pour une chaîne de télévision parmi les plus puissantes constitue une opération délicate voire impossible à mener pour un producteur isolé à qui ces droits sont réclamés par un diffuseur.

Les propos tenus par Jean-Michel Brosseau président du GESTE lors des secondes rencontres européennes des artistes en décembre 2001 illustrent parfaitement l'extrême difficulté de la constitution d'un catalogue. M. Brosseau semble en effet s'insurger contre l'absence d'un véritable guichet unique permettant tout à la fois dévaluer le prix définitif devant être payé en contrepartie de la diffusion sur les réseaux et de garantir l'acquéreur contre des récriminations potentielles d'auteurs oubliés lors de la négociation. Le GESTE qui représente en quelque sorte les acquéreurs potentiels de droits, se heurte en effet à un mur d'incompréhension, puisque les acquéreurs se voient orientés vers la multitude d'interlocuteurs que sont les maisons d'auteur, qui réclamant chacune une part du gâteau. Cela aboutit en définitive à un coût exorbitant, que les diffuseurs en ligne n'ont pas en général les moyens de supporter. A l'arrivée, de nombreux entrepreneurs sont obligés de renoncer à cette diffusion, ou sombrent alors dans l'illégalité, en proposant des contenus dont ils ne détiennent les droits que de manière partielle et surtout non garantie. Pourtant la demande des consommateurs est bien présente, et les producteurs comme les auteurs n'ont aucune raison de limiter la diffusion légale de leurs œuvres. La mise à disposition d'un film déjà réalisé, sur Internet ne nécessitant en effet pas d'investissement pour le producteur (contrairement au coût de fabrication d'un DVD) ce dernier n'a que peu de raison de s'y opposer, le film étant de toute façon destiné à bénéficier d'une audience la plus large possible.

Les initiatives permettant d'harmoniser le mode de délivrance des autorisations ne manquent pourtant pas, mais peinent à se mettre en place. A titre d'exemple, on peu citer le projet européen nommé VERDI concernant le domaine musical qui permet une interopérabilité de différentes bases de données des différentes sociétés de gestion collective d'Europe. Dans un autre registre la SCAM (Société Civile des auteurs Multimédia) permet de rassembler au sein d'un guichet unique les travaux de différents types d'auteurs.
Les choses devraient nécessairement évoluer dans un avenir proche comme l'atteste les nombreuses réunions et colloques qui regroupent les différents acteurs de l'audiovisuel: producteurs, auteurs, artistes, organismes de gestion collective qui tous tentent de trouver une issue négociée, face aux différents intérêts en présence. Il est donc possible d'espérer voir naître un consensus permettant une plus grande fluidité dans la gestion des droits.

C. La rémunération des artistes

Cette rémunération repose en fait, sur le mode de diffusion choisi pour l’œuvre (1), ce qui provoquera l’adoption de tel ou tel régime de gestion des droits (2). Pourtant, ces subtiles distinctions s’adaptent-elles bien à la diffusion en ligne ? (3).

1. Les mécanismes de diffusion des œuvres

Sur Internet, trois modes principaux de diffusion sont envisageables: Les services de diffusion en continu ou "diffusion de masse" utilisant le même modèle que la télévision ou la radio. Les services dits "à la demande" permettant à l'internaute, dans une totale interactivité, de choisir une depuis un lieu choisis, à un moment donné. Enfin les services dits "quasi à la demande" intermédiaires entre la diffusion en continu et la fourniture d'œuvres à la carte. Cette dernière hypothèse recouvre par exemple les situations déjà rencontrées sur les services de paiement à la séance sur le câble. L'utilisateur paye pour voir un film particulier, mais il ne contrôle pas l'heure de programmation.
Les services "quasi à la demande" ne se développeront pas sur Internet, puisqu'il est relativement aisé avec le numérique de diffuser la même œuvre à différentes personnes avec un décalage de temps. Restent donc les deux premières possibilités. Or celles ci obéissent à des régimes juridiques distincts concernant la rémunération des artistes interprètes.


2. Des régimes juridiques propres à chaque diffusion

La base du régime français d'utilisation des œuvres est le système des droits exclusifs. Lorsqu'une œuvre est crée les personnes qui ont contribuées à sa création possèdent des droits qui leurs sont propres et qu'ils peuvent exploiter librement. Toute utilisation commerciale donne lieu à paiement d'une rémunération, en contrepartie de l'autorisation donnée par les titulaires de droits. A ce mécanisme de principe, le législateur a toutefois apporté une dérogation qui est celle de la "licence légale". Dans ce système, qui s'applique en matière de droits voisins pour rémunérer les artistes interprètes, les titulaires de droits sont privés de l'exercice direct de leurs droits. Ils ne peuvent plus autoriser et obtenir de rémunération en contrepartie, mais ils sont tenus de laisser les utilisateurs exploiter les œuvres auxquelles ils ont contribué, à charge pour ces utilisateurs, de leur reverser une rémunération que la loi qualifie de rémunération équitable. On est donc dans un système de licence légale, puisque c'est la loi qui fixe et organise la rémunération par l'intermédiaire des maisons d'auteurs, ou maisons de gestion collective.

Le mécanisme de licence légale s'applique en ce qui concerne la diffusion des films en continu (Web-TV, Web-Radio), ou encore pour la diffusion dans les lieux publics. En revanche, dans les hypothèses de diffusion des œuvres à la demande, le régime est celui des droits exclusifs. Les diffuseurs négocient alors directement la rémunération des auteurs et interprètes avec ces derniers. Dans le cas d'une diffusion à la demande des films sur Internet, c'est donc le régime des droits exclusifs qui devra être adopté.

Le législateur de 1985 qui a instauré la licence légale souhaitait avant tout défendre les intérêts biens spécifiques du public. Le but de la licence légale était de permettre de simplifier au maximum, la diffusion de masse des films à la télévision et de réserver les systèmes juridiques plus contraignants à des modes de diffusion plus pointus, plus spécialisés. A cette époque, le législateur s'est trouvé face à une forte demande sociale, la population souhaitant bénéficier, le plus possible, de modes de diffusion diversifiés, de manière à satisfaire les goûts de chacun. Nous avions assisté en 1985 à un régime de licence légale parce que les années précédentes avaient été marquées par une libéralisation des modes de diffusion des œuvres, notamment avec les radios libres (Loi sur l'audiovisuel de 1982). Le réseau Internet pourrait être amené à suivre la même pente. Après avoir laissé un système parfaitement libéral se mettre en place, il serait souhaitable de créer un régime juridique qui permettant à cette libéralisation de donner son plein effet, c'est à dire de laisser le libre jeu de la concurrence de s'exercer tout en préservant la liberté des parties en présence. En l'espèce, il n'y a pas eu de libéralisation par le droit, mais une libéralisation par les faits, avec un développement des modes de diffusion des œuvres via Internet. Reste à traduire cette libéralisation technique, en une libéralisation juridique.


3. Quelle solution appliquer au réseau Internet?

Le réseau Internet pourrait rapidement devenir un moyen incontournable de diffusion des films, et donc générer une diffusion de masse des films à destination des consommateurs. L'application d'un système de licence légale à la diffusion à la demande permettrait de débloquer quelque peu la situation actuelle. En premier lieu, cela permettrait aux œuvres de circuler plus facilement sur le réseau, puisque les titulaires de droits voisins ne seraient plus en mesure de s'y opposer. En second lieu, la licence légale permettrait de garantir une rémunération aux artistes, tout en permettant aux diffuseurs de maîtriser ses coûts d'achats de droits d'exploitation. En définitive, cette solution permettrait une fluidité accrue.

En outre, l'Internet pourrait permettre de reverser directement aux artistes les sommes qui leurs sont dues. En effet, alors que près de cinq milliards de francs de redevances sont collectées chaque année par les maisons de gestion collective, un peu plus de trois milliards seulement sont effectivement reversé aux artistes….l'année suivante. Les frais de gestion oscillent entre 15 et 20 % des sommes perçues, et les redevances non distribuées atteignent le même montant. Ainsi, l'ADAMI par exemple, dispose d'un véritable trésor de guerre d'un milliard de francs correspondant aux redevances perçues au nom des artistes étrangers mais non reversées pour diverses raisons . L'utilisation de logiciels appropriés permettrait à l'avenir une gestion en temps réel des œuvres et des rémunérations. Lors du téléchargement, le compte du téléspectateur serait immédiatement débité au profit des ayant droits. Les frais de gestion n'excéderaient alors pas 2%, les auteurs récupérant les 98% restant.

Pourtant, même si cette solution peut sembler assez séduisante, de nombreux obstacles juridiques s'opposent à sa mise en œuvre. En effet deux textes de droit international imposent un certain nombre de contraintes. Le traité de l'OMPI de 1996, et la Directive Européenne du 22 mai 2001 soumettent les "services à la demande" à un régime de droits exclusifs. Cela veut dire que pour ce type de services, la France ne peut pas prévoir un régime de licence légale. Pour le moment, il appartiendra donc aux ayants droits de gérer bilatéralement et contractuellement les utilisations qui seront faites de leurs œuvres dans le cas de tels services.

La diffusion en continue représente actuellement le mode le plus courant de représentation des films à destination du grand public. Cependant, ce mode de diffusion pourrait à terme, être supplanté par la diffusion à la demande, en raison des nombreux avantages de cette méthode. Peut-être pourrons-nous alors envisager d'instaurer une licence légale aux hypothèses de diffusion à la demande.

Après avoir analysé de quelle manière un diffuseur potentiel était susceptible d'acquérir les droits de diffusion et donc de rémunérer les artistes, reste à organiser la mise en ligne des films eux même. Plusieurs techniques de diffusion sont dès lors envisageables, mais les mesures de protection destinées à éviter la duplication des œuvres peinent encore à démontrer leur efficacité, de même que leur légitimité vis à vis du public.


Chapitre 2. Les conditions préalables à l'exploitation en ligne des œuvres audiovisuelles


Si l'acquisition des droits de diffusion d'un film constitue une première étape fondamentale, elle ne suffit pas à rendre le film accessible aux consommateurs. Deux autres questions fondamentales doivent en effet trouver une réponse avant la mise en ligne du film.
La première est celle du mode de diffusion choisi, qui dépend de critères tant technologiques que juridiques. Nous analyserons donc les modes de diffusion choisis par les sites Internet et les conséquences pratiques de ces choix (§1). L'autre question est celle de la sécurité du contenu. En effet, pour que les auteurs envisagent de céder leurs droits à ces diffuseurs d'un type nouveau, il faut les rassurer quant aux mesures techniques et juridiques mises en place afin de limiter les risques de piratage des œuvres récupérées par les internautes (§2).


§1. LES DIFFERENTS MODES DE DIFFUSION

D'un point de vue strictement technique, différents modes de diffusion des contenus audiovisuels sont envisageables. En réalité, deux systèmes principaux s'affrontent actuellement sur Internet, offrant chacun leurs lots d'avantages et de désagréments. Il s'agit d'une part de la méthode dite du streaming (flux) (A) et d'autre part de celle du download (téléchargement ) (B). Reste à opérer un choix entre ces deux systèmes (C)


A. Le Streaming

Ce terme anglo-saxon désigne le flux de données qui transitent d'un ordinateur à l'autre. Dans cette hypothèse, la réception du film se fait en flux tendu, un peu de la même manière que les programmes télévisés classiques. Lorsque l'internaute souhaite visionner un film, le début de celui ci lui est directement envoyé. Pendant qu'il le visionne, la suite du film continue d'être transmise depuis le serveur de la société prestataire. En général, la diffusion ne suit pas la forme d'un direct parfait. En effet, afin de s'affranchir des blocages éventuels du réseau, une partie variable du film est mise en cache, c'est à dire stockée temporairement dans la mémoire vive (RAM) de l'ordinateur client. De cette manière, une brève interruption de la réception n'affecte pas le visionnage du film. De même, si l'utilisateur interrompt lui-même le visionnage (pause), et donc la récupération des données, la sauvegarde en cache d'une partie de ces dernières, permettra de reprendre rapidement la visualisation sans attendre la reconnection au site serveur.
La particularité du streaming est de ne stocker les données que de manière temporaire sur l'ordinateur de l'utilisateur.

Dès qu'une image est visualisée, elle est rapidement effacée. De cette manière, l'utilisateur ne peut en principe pas conserver durablement les fichiers reçus.
En outre, le flux de donnée s'adapte en permanence à l'état général du réseau jusqu'à l'utilisateur. Si la bande passante de l'utilisateur augmente au cours de la visualisation, le film arrivera plus rapidement, les différences étant compensées par le stockage temporaire de quelques minutes du film.

La plupart des systèmes actuels de diffusion de films reposent sur cette technologie largement développée par la société RealNetworks qui diffuse le fameux logiciel "Real Player".
Un nouveau consortium s'est récemment mis en place pour permettre un standard unique de streaming : l'Internet Streaming Media Alliance (ISMA) qui regroupe des industriels tels qu'Apple, Cisco, Sun, Philips et Kasenna. L'ISMA travaille pour proposer des protocoles permettant de "streamer" des contenus compressés au maximum, tout en intégrant des informations sur les droits d'auteur.

Nous assistons actuellement à une véritable bataille de norme entre les principaux acteurs du monde informatique . Microsoft, Apple, RealNetwork et d'autres encore, tentent chacun d'imposer leur standard de compression et de diffusion. Faute d'accords, les internautes sont à l'heure actuelle contraints d'utiliser plusieurs lecteurs différents . Heureusement, tous sont pour le moment proposé gratuitement en téléchargement.


B. Le Téléchargement (Download)

Contrairement à la technologie précédente, le téléchargement consiste à rapatrier la totalité d'un fichier sur l'ordinateur de l'utilisateur. Avant de visualiser un film, l'utilisateur doit donc nécessairement attendre la fin du téléchargement complet qui dans le cas d'un film long métrage peu prendre plusieurs heures. Dans cette hypothèse, le fichier est stocké physiquement sur le disque dur de l'utilisateur, au fur et à mesure de son arrivée.

Dans le cas ou le fichier ne fait pas l'objet d'une protection particulière, celui ci pourra être visualisé à tout moment même si l'ordinateur n'est plus connecté à Internet. De même il devient possible de le copier ou de l'archiver, comme n'importe quel autre fichier. Il est donc évident que cette solution offre à priori une sécurité bien moindre par rapport à la précédente.


C. Le choix opéré par les diffuseurs

En pratique, la plupart des sites proposant des œuvres audiovisuelles utilisent la technologie du streaming, puisqu'elle permet de contrôler beaucoup mieux l'usage qui est fait du film par l'utilisateur.

Le site américain "internetmovies.com" n'utilise d'ailleurs que cette technologie. Ce service, déjà évoqué plus haut vise les 10 Millions de foyers américains connectés à haut débit, soit près de 35 Millions d'utilisateurs réguliers.
Concernant le prix de la prestation, il fonctionne selon un système d'abonnement qui s'élève à 5,95$ pour un mois d'abonnement et diminue fortement selon la durée de l'engagement (29,95$ pour 12 mois d'abonnement soit 2,5 $ par mois). En contrepartie du paiement de cette somme il est possible de visualiser un nombre illimité de films. A condition d'en faire un usage régulier, cette méthode pourra apparaître très bon marché. Elle est en effet bien inférieure au coût d'une location dans un vidéoclub, et permet en plus de s'affranchir d'un déplacement désormais inutile. Le très large choix de films proposé, offre bien, sûr un intérêt supplémentaire par rapport à un vidéoclub classique

Les sites Européens sont eux aussi présents depuis quelque temps et commencent à proposer un véritable contenu cinématographique.
A titre d'exemple, le site français "netcine.com " propose un choix de film digne d'un bon vidéoclub pour un prix similaire. Le site est en réalité une filiale détenue à 100% par la société "moviesystem.com " qui gère elle-même l'acquisition des droits, par le biais des producteurs. "Moviesystem" propose en outre des formules de streaming à d'autres portails revendeur tels que NOOS ou Wanadoo. Contrairement au modèle américain, le site a développé deux séries d'offres. Une première qui utilise la technologie du streaming permet d'avoir accès à un film pendant 24 heures pour 4 ou 5 €. Cependant, le site propose aussi de télécharger le film, qui demeure alors acquis définitivement. Le coût du film est alors porté à 15 € en moyenne, mais il s'agit alors d'un achat et non plus d'une location. Cette dernière hypothèse constitue le parfait exemple d'achat en ligne parfaitement dématérialisé. D'après les informations que j'ai pu obtenir en contactant directement les exploitants du site, la licence octroyée autorise la reproduction du film sur un support amovible, mais uniquement de manière cryptée. Le support ne pourra donc être lu que sur la seule machine de l'utilisateur. L'impossibilité de transporter le film, de le prêter ou de le copier, constitue donc un désavantage considérable par rapport à l'achat d'une cassette VHS ou d'un DVD.

En Allemagne, "Première", chaîne allemande de télévision payante et "Arcor Online", opérateur de réseaux couvrant l'ensemble du territoire ont signé le 6 mars 2002 un accord relatif à un projet pilote de vidéo à la demande . Arcor Online propose déjà depuis décembre 2001 un système de vidéo à la demande sur sa plate-forme en ligne (www.arcor.de). Première envisage d'ajouter une longue liste de films et de les mettre en ligne avec Arcor. Les films seront disponibles au plus tard dès l'été 2002 sous le label "Première" et seront accessibles en streaming via une ligne haut débit, selon le même modèle commercial que le site français "netcine.com".
Notons que si le prix du diffuseur français concernant le streaming est bien supérieur à celui proposé outre atlantique, il reste parfaitement honorable comparé aux tarifs des principaux vidéoclub Français. Reste à savoir, si les internautes seront prêts à franchir le pas et à commander directement leurs films en ligne, offrant par la même des perspectives de développement à ces nouveaux diffuseurs.

Ce genre de service n'est pour le moment réservé qu'a quelque "happy few" en raison du coût technologique qu'il engendre, (achat du matériel informatique, connexion haut débit, prix de la "location" elle-même…) et du minimum de connaissances techniques qu'il nécessite (utilisation d'Internet, raccordement éventuel au récepteur de télévision…). Cependant ce type d'offre permet de s'affranchir complètement des limites imposées par les procédés classiques de diffusion. L'utilisateur peut désormais choisir de regarder ce qu'il veut, au moment précis où il le souhaite, en gardant la liberté d'interrompre la diffusion pour la reprendre plus tard. En outre, contrairement à une diffusion hertzienne classique, l'utilisateur n'est pas victime de coupures publicitaires incessantes et de plus en plus intolérables.

D'un point de vue économique, les autres offres similaires que sont la télévision par câble ou par satellite, associées ou non aux offres de payement à la séance (PayPerView), demeurent pour le moment moins cher si l'on raisonne par rapport au coût unitaire d'un film.

Cependant l'exemple américain montre bien que le prix pratiqué en France est encore bien trop élevé par rapport à ce qu'il pourrait être. Contrairement à la diffusion de films par les réseaux classiques, la diffusion n'engendre que de faible coût d'infrastructure. Nul besoin de presser des DVD et de recourir aux services d'une chaîne de vidéoclub, pas plus que de louer ou d'acheter de coûteuses infrastructures d'émissions, tels que les relais d'antenne terrestre hertzien ou les réseaux de satellites. Bien que les notions de convergence des médias aient fait long feu, et ne soient plus guère à la mode aujourd'hui, je suis convaincu que les progrès de la technologie informatique associés à un essor probable du nombre d'utilisateurs devraient permettre de faire baisser sensiblement les coûts.
Une étude récente de la société Benchmark Group indique qu'une majorité d'internautes serait prête à payer pour le visionnage à la demande de films sur internet. En effet l'étude, portant sur 1200 internautes disposant d'un accès à leur domicile, précise que si pour près de la moitié des internautes interrogés l'ordinateur ne semble pas encore un appareil adapté pour regarder des films(contrairement à ce qui est observé pour la musique), 70 % se disent prêts à utiliser une des nouvelles formule de visionnage à la demande de films sur Internet. En outre, près de la moitié des internautes prêts à utiliser ces nouveaux moyens estiment que cela l'amènera à accroître sa consommation de films (une même proportion estimant que cela grèvera plutôt l'audience des chaînes de télévision).
Concernant les perspectives économiques des diffuseurs, une analogie avec le monde de l'édition musicale s'impose à ce stade du raisonnement. En effet, une des principale caractéristique de la musique est d'être universelle. Une composition originale des Beatles peut parfaitement être mise en ligne aux Etats-Unis et récupérés en Bulgarie sans subir de modification autre que sa numérisation. Le consommateur s'attend en effet à recevoir l'œuvre dans sa version originale anglaise et se gardera bien d'en préférer une traduction en bulgare, quitte à ne pas comprendre un traître mot du texte de la chanson. L'œuvre musicale s'adresse donc à un public mondial, et ne nécessitera pas d'adaptation à un cadre national donné. En poussant le raisonnement plus avant, il est possible de considérer qu'un seul et unique diffuseur pourrait à lui seul approvisionner le marché mondial des internautes présent sur le réseau.

En revanche le grand public n'est en général guère attiré par les films en version originale, même sous titrés. Il est vrai que cette demande tend à se développer concernant la diffusion en salle; mais, dès lors que le film est visionné sur un écran de télévision ou d'ordinateur, la lecture des sous-titres demeure un exercice délicat. Un film étranger non doublé et diffusé sur petit écran ne bénéficiera donc en France et dans d'autre pays que d'une très faible audience. Le film devra donc subir une adaptation au cadre national du pays dans lequel il souhaite être diffusé. Cette nécessaire adaptation redonne une chance évidente aux différents pays afin de parvenir à contrôler la diffusion de films sur leur territoire ou tout au moins dans une langue donnée. Chaque pays ayant intérêt à ne développer son offre de film que dans la ou les langues parlées par sa population. C'est d'ailleurs la voie actuellement suivie par les principaux diffuseurs que nous venons d'étudier. Chacun de ces sites limite en effet son offre aux membres du pays dont il est lui-même ressortissant.
Notons en outre que si la diffusion payante de films en ligne n'en est encore qu'à ses balbutiements, l'offre gratuite (et cependant légale) fonctionne, elle, plutôt bien. Ainsi voit-on actuellement se développer sur Internet une multitude de petits sites proposant un grand nombre de courts métrages, le plus souvent réalisés par de jeunes artistes en herbe. Il ne s'agit certes plus ici, de recherche de rentabilité, mais plutôt d'une vitrine permettant aux débutants d'exposer leurs premiers travaux. Les court métrages proposés le sont donc gratuitement et le coût de gestion du site est pris en charge par une brève publicité au début du court-métrage.

Cette formule semble séduire un nombre croissant d'internautes comme l'attestent les articles de presse de plus en plus nombreux sur la question . Certains sites accueillent actuellement plus de 900 visiteurs uniques par jours. Parmi les sites les plus attractifs , on peu citer: "Mouviz.com", "unfilmde.com" (deux très bons sites français), ou encore les sites anglo-saxons, "Ifilm.com" et FilmWatcher.com.

Nul doute que ce type d'initiative contribuera à démocratiser la consommation de film sur le web. Comme nous le verrons dans la deuxième partie de ce mémoire consacré à la diffusion illégale des films sur le réseau, les internautes les plus assidus ne sont pas encore prêts à renoncer au tout gratuit. L'utilisation de la technologie du streaming sur ces sites certes gratuits, mais en tous points similaires aux sites commerciaux devrait permettre d'habituer et de rassurer progressivement les internautes cinéphiles.

§2. L'IMPOSSIBILITE D'ASSURER UNE PROTECTION PARFAITE SANS MENACER LES DROITS DES CONSOMMATEURS.


Cependant, le choix d'un modèle de diffusion obéit avant tout à une logique sécuritaire. Pour parvenir à convaincre les ayant droits du bénéfice qu'ils retireraient de la diffusion de leurs films sur les réseaux, encore faut-il leurs démontrer que leurs œuvres ne seront pas irrémédiablement piratées par des utilisateurs peu scrupuleux du service. Les sites de diffusions associés aux créateurs de logiciels n'ont, pour cette raison, de cesse de trouver de nouvelles parades pour limiter les possibilités de copies illégales. Cependant cette volonté de sécuriser à tout prix les échanges de données provoque dans certains cas, une diminution notable des possibilités jusque là offertes aux consommateurs.


A. Des limites techniques assorties d'une protection juridique

Le développement des échanges numériques a eu pour conséquence notable d'augmenter considérablement le nombre de copies illégales d'œuvres circulant sur les réseaux. La copie, notamment celle réalisée à usage privé, a toujours bénéficiée d'une large tolérance tant qu'elle se limitait à une reproduction analogique. La possibilité offerte de pouvoir copier numériquement une œuvre sans aucune perte de qualité et pour un coût insignifiant, inquiète désormais énormément les titulaires de droits et leurs principaux défenseurs. Ces derniers considèrent en effet que toute copie réalisée constitue pour eu un manque à gagner évident.

Pour tenter d'endiguer le phénomène un grand nombre de mesures techniques de protection ont vu le jour. Ces mesures reposant en général sur un procédé de cryptage des œuvres, nécessitent une clé qui est forcément divulguée en partie pour permettre aux utilisateurs légitimes d'accéder à l'œuvre. Cette clé peut bien évidemment faire elle-même l'objet d'un piratage, c'est à dire d'un contournement des moyens de protection de l'œuvre. La guerre est désormais déclarée entre les entreprises proposant ses moyens de protection et les petits génies de l'informatique, toujours avides de nouveaux défis. Parallèlement, le droit a souhaité encadrer ces pratiques et de nouvelles règles juridiques sont en train de naître, destinées à mieux sanctionner ces détournements.


1. Les systèmes imaginés pour sécuriser les échanges

Les moyens de protection imaginés reposent sur l'idée que les auteurs ou leurs cessionnaires doivent pouvoir contrôler à tout moment l'usage qui est fait de leurs œuvres. La solution la plus efficace et la plus radicale consiste alors à limiter au maximum les manipulations permises à l'utilisateur, tout en se gardant la possibilité de débloquer le système de protection en fonction des besoins ou des autorisations consenties.

Ces moyens de protection peuvent se situer à plusieurs niveaux. Deux méthodes principales peuvent être employées conjointement ou séparément.

La première consiste à sécuriser le contenu lui-même en lui associant un algorithme de cryptage, empêchant son utilisation dès lors qu'un certain nombre de conditions ne sont pas remplies (a). L'autre solution consiste à insérer de manière invisible dans l'œuvre un certain nombre d'information concernant la titularité des droits (b). Cela pourra permettre de suivre (pourquoi pas à distance) le chemin emprunté par l'œuvre circulant illégalement d'utilisateur en utilisateur. Il est alors loisible au titulaire de droits d'agir contre un contrefacteur dès lors que l'atteinte constatée n'est plus tolérable. La combinaison de ces deux procédés pourrait permettre d'accéder à un degré de protection suffisant (c).


a. Le marquage des œuvres:

Cette première possibilité connaît actuellement un essor considérable et bon nombre de sociétés tentent de faire accéder leur système au rang de standard incontesté. Le plus souvent ces procédés baptisés en anglais "Watermarking" consistent à insérer dans l'œuvre, de manière parfaitement invisible pour l'utilisateur, un certain nombre d'informations concernant l'œuvre, comme par exemple les noms des titulaires des droits, celui des diffuseurs éventuels, ou encore le numéro de la copie, et d'autres informations techniques telles que le coefficient de compression appliqué. La société AlpVision propose des systèmes particulièrement aboutis concernant notamment les œuvres audiovisuelles. Les informations peuvent par exemple être reproduites et intégrées au sein de chaque image du film au milieu des pixels qui la compose. La société travaille principalement sur l'inviolabilité d'un tel système, lorsque l'œuvre subit de multiples transformations de la part de l'utilisateur. Les informations ne doivent en effet pas être perdues, que l'œuvre soit recompressée, morcelée, ou modifiée chromatiquement, en vue de faire disparaître la marque apposée.

L'œuvre elle-même peut en plus faire l'objet d'un enregistrement numérique en ligne, permettant de vérifier à tout moment quelles sont les conditions d'exploitation de l'œuvre, préalablement définies par l'auteur lui-même. C'est dans ce cadre que la société Interdeposit à mis en œuvre un système international de dépôt et d'enregistrement des œuvres numériques. La procédure de référencement d'une œuvre en ligne est fondée sur la constitution par Interdeposit d'un scellé électronique sous la forme d'un fichier contenant les informations précédemment énumérées.

L'inconvénient de ce système est qu'il ne protège l'œuvre qu'a posteriori, c'est à dire après seulement qu'une contrefaçon ait été réalisée. Son intérêt principal réside dans le fait de pouvoir démontrer qu'une œuvre diffusée sur le réseau est bien issue d'une œuvre protégée.


Le système est particulièrement efficace dès lors que la réutilisation illicite d'une œuvre est commise par une société à des fins commerciales. Les dommages et intérêts pouvant être réclamés justifient à eux seuls, l'introduction d'une action en justice. Cependant, concernant le type de contrefaçons qui nous occupe ici, à savoir celle réalisée par des particuliers, la solution n'offre qu'un intérêt limité puisque le contrefacteur doit préalablement être identifié, la copie trouvée, et sa responsabilité engagée. Or en l'état actuel des choses, les particuliers sont très rarement inquiétés par la justice pour les copies à usage privé, même redistribuées, qu'ils réalisent. Pour cette raison, l'enjeu technologique actuel est d'empêcher purement et simplement les reproductions non expressément autorisées.


b. Le chiffrement de l'œuvre numérisée:

En associant l'œuvre à un algorithme de cryptage, il devient possible de conditionner la lecture du film à la détention d'une clé qui sera délivrée en contrepartie du paiement des droits d'acquisition d'une copie de l'œuvre.
La plupart des systèmes de diffusion en streaming disposent d'un procédé plus ou moins abouti de chiffrement des informations.

En premier lieu, les œuvres numérisées sont adaptées au format choisi de diffusion qui n'est pas directement accessible à l'internaute. Ainsi, l'activation d'un lien hypertexte depuis un navigateur, ne provoque pas directement l'accès vers le fichier contenant le film, mais entraîne le lancement du logiciel de streaming, qui recevra lui-même, directement l'adresse du fichier à télécharger, sans que l'internaute n'ait pu, en principe, prendre connaissance de sa véritable localisation.
En outre les sites diffuseurs - tel que Net ciné -, renforcent cette protection en associant au fichier lui-même, qu'il soit reçu en streaming ou en téléchargement une clé chiffrée qui sera réclamée par le site à chaque demande de visualisation du film. Sans cette clé, la lecture ne pourra démarrer. Différents consortiums tentent d'imposer leurs normes: "Open-MG-X " pour Sony, ou "DRM" pour Microsoft et RealPlayer.


c. Vers une combinaison des deux procédés:

Actuellement différents consortiums travaillent activement pour permettre à ces deux technologies de se rencontrer et donc de se compléter. A l'issue de ces travaux et sous réserve d'un accord de standardisation, les logiciels de lecture devraient intégrer un procédé de reconnaissance des droits beaucoup plus complet qu'il ne l'est actuellement, permettant de gérer précisément les droits concédés par les diffuseurs. Il serait alors possible de restreindre l'utilisation du fichier en déterminant précisément combien de fois il peut être lu. De même ne serait-il pas possible de limiter la copie du fichier à un nombre d'exemplaires précis? De cette manière, un film téléchargé et donc archivé sur le disque dur pourrait faire l'objet d'une seule et unique copie de sauvegarde sur un support amovible. La copie réalisée ne permettant pas d'en réaliser d'autres.

Enfin, comme nous l'avons vu, l'offre payante est souvent limitée à un territoire donné. Il est en effet probable que des pays pratiquant la censure sur le réseau ne voient pas d'un très bon oeil l'accès de leur population à certains films occidentaux. De même la diffusion internationale implique une gestion comptable très minutieuse. Afin d'éviter tous litiges, les diffuseurs souhaitent pouvoir contrôler précisément la provenance des internautes. Ainsi le site Net ciné pratique-t-il le filtrage des adresses IP . Notons que pour le moment la fiabilité n'est pas totale mais permet quand même de connaître la localisation géographique de près de 90 % des internautes. Le nombre d'adresses disponibles étant insuffisant, la plupart des particuliers ne disposent pas d'une adresse fixe, celle ci leurs est donc allouée dynamiquement à chaque connexion. En outre les abonnés AOL du monde entier apparaissent localisé aux USA. Cependant, le passage programmé du protocole Ipv5 à Ipv6 aura notamment pour effet d'augmenter le nombre d'adresses disponibles et devrait permettre de régler définitivement ce problème. Les procédés ayant pour but de rendre anonyme une connexion existent aussi, mais sont, pour le moment, très peu utilisés, donc négligeables, du point de vue de la contrefaçon .

Pour renforcer la légitimité de ces mesures et assurer leur respect, le droit s'est récemment saisi de ces questions. Les contrevenants aux mesures de protections sont désormais susceptibles de se voir appliquer des sanctions pénales.


2. Une inflation législative inadaptée

La copie qui engendre le plus de perte pour l'industrie cinématographique est celle réalisée par les particuliers. Même si le phénomène est à l'heure actuelle moins répandu que pour la musique, il commence à préoccuper sérieusement l'industrie cinématographique.

De par les dispositions des différents textes de propriété intellectuelle à travers le monde, les auteurs ou autres ayant droits jouissent sur leurs œuvres du droit de contrôler l'utilisation qui en est faite. Les textes envisagent certes les moyens de prévenir les atteintes, mais ils prévoient en outre un certain nombre d'exceptions légales, accordées à certaines catégories d'utilisateurs, parmi lesquelles figure l'exception de copie réalisée à l'usage privée du copiste. Il s'agit là d'une notion fondamentale du droit d'auteur qui se retrouve dans toutes les législations et s'explique aisément par la difficulté de contrôler efficacement les actes des particuliers sans porter atteinte à leur vie privée. Cette exception est visée en droit français à l'article L. 122-5 2°cpi et la notion équivalente de "fair use" (usage loyal) en droit américain au § 107 du titre 17 du Code des Etats Unis (United States Code).

L'abus de cette exception de copie privée est comme chacun le sait, sanctionné sur le terrain de la contrefaçon. Comme les sanctions imaginées ne sont pas jugées suffisamment dissuasives, les entreprises mettent en place les moyens de protection que nous venons d'évoquer plus haut. Cependant ces moyens de protection font eux-même l'objet d'exceptions visant certaines catégories d'utilisateurs particulièrement protégés. Des moyens légaux de contournement doivent donc leur être fournis. A partir du moment ou le contournement légal est possible, le contournement illégal risque nécessairement de se développer. Les derniers textes de loi concernant la propriété intellectuelle ont donc imaginé des sanctions pour circonscrire les hypothèses de contournement des moyens de protection.

Les décisions internationales intervenues dans le cadre du cycle des négociations de l'OMC ont donné naissance aux accords ADPIC (ou TRIPS en anglais) de 1984. Cet accord international incorpore la Convention de Berne du 9 septembre 1886 et permet donc d'imposer à un grand nombre d'états un respect minimum des droits d'auteur. L'innovation majeure par rapport à la convention de Berne, consiste dans le fait que l'ADPIC impose désormais aux états de prendre des mesures effectives pour sanctionner les infractions au droit de propriété intellectuelle.

En outre, la conférence diplomatique de l'OMPI qui s'est tenue en 1996 à Genève a entraîné l'adoption du traité sur le droit d'auteur (WIPO Copyright Treaty – WCT) et du traité sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WIPO Performance and Phonograms Treaty – WPPT). Ces deux traités ayant fait l'objet de 30 adhésions ou ratifications, sont respectivement entrés en vigueur le 6 mars 2002 et le 20 mai 2002.

L'article 11 du WCT prévoit que les parties contractantes doivent prévoir des mesures de protections adéquates contre le contournement des moyens de protection mis en place par les auteurs sur leurs œuvres.

Article 11: "Les Parties contractantes doivent prévoir une protection juridique appropriée et des sanctions juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques efficaces qui sont mises en œuvre par les auteurs dans le cadre de l'exercice de leurs droits en vertu du présent traité ou de la Convention de Berne et qui restreignent l'accomplissement, à l'égard de leurs œuvres, d'actes qui ne sont pas autorisés par les auteurs concernés ou permis par la loi".

L'article 12 définit, lui, ce qu'il faut entendre par contournement des moyens de protections:

Article 12: " Les Parties contractantes doivent prévoir des sanctions juridiques appropriées et efficaces contre toute personne qui accomplit l'un des actes suivants en sachant, ou, pour ce qui relève des sanctions civiles, en ayant des raisons valables de penser que cet acte va entraîner, permettre, faciliter ou dissimuler une atteinte à un droit prévu par le présent traité ou la Convention de Berne:
i) supprimer ou modifier, sans y être habilitée, toute information relative au régime des droits se présentant sous forme électronique;
ii) distribuer, importer aux fins de distribution, radiodiffuser ou communiquer au public, sans y être habilitée, des œuvres ou des exemplaires d'œuvres en sachant que des informations relatives au régime des droits se présentant sous forme électronique ont été supprimées ou modifiées sans autorisation.
2) Dans le présent article, l'expression «information sur le régime des droits» s'entend des informations permettant d'identifier l'œuvres, l'auteur de l'œuvre, le titulaire de tout droit sur l'œuvre ou des informations sur les conditions et modalités d'utilisation de l'œuvres, et de tout numéro ou code représentant ces informations, lorsque l'un quelconque de ces éléments d'information est joint à l'exemplaire d'une œuvre ou apparaît en relation avec la communication d'une œuvre au public"

De la même manière le WPPT prévoit des dispositions équivalentes aux articles 18 et 19 (cf. extrait du texte en annexe). Notons que ce traité vise les interprétations sonores et ne s'applique donc pas à l'audiovisuel. Cependant, même si les négociations de 1996 qui ont abouti à la conclusion du WCT et du WPPT ont laissé en suspend les questions qui relèveraient d'un traité sur les interprétations ou exécutions audiovisuelles dans l'ère du numérique, il est évident que le contournement des moyens de protection peut s'appliquer dès à présent à la diffusion d'œuvres audiovisuelles en ligne.

La signature de ces traités internationaux, oblige logiquement les états à introduire au sein de leurs législations nationales ces nouvelles dispositions visant à condamner le contournement des moyens de protection.

Les USA se sont conformés à cette obligation en la forme du "Digital Millénium Copyright Act" (DMCA) du 8 octobre 1998 qui prévoit à la Section 103, l'ajout à l'article 17 du code américain d'un chapitre 12 intitulé "Copyright protection and management systems" contenant lui-même une série d'articles reprenant les dispositions internationales précédemment évoquées (cf. extrait du texte en annexe).


Au niveau européen, la transposition s'opère actuellement par le biais de la Directive CE n°2001-29 du 22 mai 2001 qui reprend presque littéralement le texte de l'OMPI.

Ainsi, l'article 6 dispose (cf. extrait du texte en annexe):

"1. Les États membres prévoient une protection juridique appropriée contre le contournement de toute mesure technique efficace, que la personne effectue en sachant, ou en ayant des raisons valables de penser, qu'elle poursuit cet objectif. (…)"

En vertu de l'article 13 les états membre de l'Union Européenne devront transposer la présente directive dans leurs législations nationales au plus tard le 22 décembre 2002. Nous verrons donc très prochainement, de quelle manière la France envisage de se plier à cette exigence communautaire.
Reste à savoir si ces nouvelles sanctions seront vraiment efficaces et surtout suffisamment appliquées pour dissuader les contrevenants éventuels. Dans le cas contraire, pourquoi ne pas imaginer de nouvelles mesures techniques visant à rendre plus efficaces les mesure techniques de protection des œuvres! Et pourquoi pas non plus les mesures répressives qui leurs sont associées!

L'analyse de quelques affaires jugées aux Etats-Unis sur le fondement du DMCA semble indiquer que celui ci répond bel et bien aux attentes des majors du disque et du cinéma qui en étaient les principaux instigateurs. Ces affaires concernant notamment le cryptage des DVD sont analysées dans la deuxième partie de ce mémoire.

Nous assistons donc à une course frénétique (et probablement sans fin) opposant les ayants droits et les contrefacteurs potentiels. Les textes précédemment analysés ont certes le mérite de préciser ou de créer, selon les cas, le régime juridique des mesures de protections techniques. Cependant ne peut-on pas considérer comme légèrement superfétatoires ces nouvelles mesures, par rapport au régime classique du droit d'auteur. De telles mesures peuvent sans soute avoir une véritable influence sur la diffusion des moyens de contournement, en condamnant la mise à disposition de ces moyens. En auront-elle aussi concernant la découverte pure et simple de tels moyens et leur utilisation par des particuliers? Autant d'éléments, qui ne peuvent à priori pas, faire l'objet d'un véritable contrôle. En outre, l'introduction systématique de telles mesures au sein des œuvres n'est-elle pas susceptible de porter finalement atteinte à la liberté des consommateurs sur les "produits audiovisuels" qu'ils consomment?

B. Des mesures techniques inefficaces et attentatoires au droit des consommateurs?


Il est évident que les mesures techniques de protection et le régime juridique qui leurs sont associées sont nécessaires à la sauvegarde des intérêts des auteurs ou de leurs ayant droits. Mon propos n'est donc pas de remettre en question la finalité de ces mesures, qui concourent avec d'autres au développement de l'art et de la culture. Ces mesures me semblent cependant encore inabouties ou tout au moins incomplètes. En l'état actuel des choses, la lutte qui oppose les auteurs et les contrefacteurs débouche en réalité soit sur une inefficacité du système de protection (1), soit sur un verrouillage total de l'œuvre, préjudiciable à l'utilisateur, et plus généralement à la diffusion des œuvres elles mêmes (2).


1. L'Echec des tentatives

Depuis quelques années, les fabricants de matériel et de logiciel travaillent sans relâche pour permettre à leurs produits d'accéder à un minimum de sécurité. Parallèlement, une large communauté d'internautes-informaticiens défendent activement une conception libertaire de l'usage des réseaux et voient d'un très mauvais oeil tout ce qui pourrait les empêcher de jouir sans entraves des possibilités d'Internet. Plus exactement, il semble que les mesures de protection sur les œuvres constituent à leurs yeux autant de défis techniques à relever. Ajoutons à cela que ce sont souvent quasiment les même qui réalisent les mesures techniques de protection et qui finissent par les divulguer pour mieux les déjouer ensuite.

Ces phénomènes expliquent en partie pourquoi, la plupart des protections techniques imaginées jusque là, ne demeurent véritablement efficaces que pendant un temps limité.

Il faut garder à l'esprit que tout moyen de protection ou de cryptage -quel que soit son degré de complexité- pourra toujours être piraté à condition de disposer des outils et du temps nécessaire. Le système de cryptage des cartes de crédit à puce françaises, n'a-il pas déjà été forcé à plusieurs reprises? En outre, dans le cas qui nous occupe, le système de sécurité utilisé doit pouvoir être utilisé sur les ordinateurs de faible puissance des particuliers. Le système ne peut donc pas être trop lourd ou trop complexe. De plus, ces systèmes, qui associent en général plusieurs intervenants, sont destinés à être standardisés et donc divulgué à un assez grand nombre d'individus. Même si de nombreux contrats de confidentialité sont souvent signés, la divulgation porte en elle-même des risques de contrefaçons. De surcroit, chacun sait que les moyens de sécurité ne sont efficaces à long terme, que s'ils font l'objet de changements et d'évolutions régulières. Les codes d'accès sont changés, les tours de garde modifiés…. Or, au vu du temps actuellement nécessaire pour mettre en place un cryptage standardisé, il y a de fortes chances pour que la parade soit trouvée, avant même que le cryptage soit utilisé sur le marché.


A titre d'exemple, le principe du streaming n'autorise pas en principe l'utilisateur à enregistrer définitivement une œuvre sur son disque dur. Cependant il faut garder à l'esprit que cette technologie, utilisée sans précaution supplémentaire, n'offre pas un degré suffisant de protection contre la reproduction. En effet, de petits utilitaires présent sur Internet et bien que parfaitement illégaux, permettent d'enregistrer définitivement et très facilement les fichiers proposés en streaming. La prétendue sécurité des fichiers en streaming est donc bien illusoire. Heureusement, ces utilitaires sont assez peu nombreux en raison de leur illégalité et s'échangent donc plutôt "sous le manteau"entre utilisateurs avertis. Il semble, que même les derniers formats de fichiers imaginés par différents consortiums, puissent être piraté au prix d'une opération à peine plus complexe.

Concernant le système de zones géographiques imaginé sur les DVD, il est notoire que les revendeurs de lecteur proposent toujours un "dézonage" en option, qui sera réalisé le plus souvent dans l'arrière boutique. Le système anti-copie des DVD intitulé DCSS que nous étudierons plus en détail par la suite a, lui aussi fait l'objet d'un piratage à grande échelle. Dans un autre registre, musical cette fois, les tentatives avortées ne manquent pas: le dernier format de CD audio développé par Sony DADC contient une clé baptisée "Key2audio" qui rend en principe le disque inutilisable sur les ordinateurs Mac et PC. Cependant, le site ZDNET a révélé qu'il était loisible de contourner cette protection en collant un morceau de scotch voire même l'étiquette portant mention de la limitation technique au bon endroit sur le CD…. Je n'ose imaginer le coût de réalisation d'un tel procédé au sein de l'entreprise Sony!
De plus, l'histoire démontre bien, à quel point ces mesures sont illusoires. Les décodeurs Canal+ ont en effet toujours fait l'objet de piratage à grande échelle, malgré les dispositions pénales crées spécialement à l'époque de leur sortie.

Afin de tempérer ce qui vient d'être dit, notons que la plupart des cinéphiles ne sont pas forcément des experts en informatique susceptibles de parvenir à contourner les moyens de protection. Ces mesures de protections ont et auront donc un impact certain sur la masse des consommateurs, et peuvent contribuer avec d'autres à limiter le phénomène de piratages à grande échelle

Cependant, pour cette classe d'utilisateurs vertueux, qui représente à priori la majorité des consommateurs, les mesures de protection utilisées afin de lutter contre les dérives de quelques-uns uns, pénalisent grandement les utilisateurs honnêtes qui voient souvent leurs droits se restreindre.


2. L'exception de copie privée menacée

Nous l'avons vu, cette habitude prise chez les consommateurs de copier les œuvres repose sur la "tolérance" de copie qui leur était, jusque là, offerte.

Le droit pour les auteurs, de décider des conditions de mises en ligne de leurs œuvres est parfaitement légitime. Cependant les textes récemment adoptés ainsi que ceux actuellement en préparation semblent vouloir instaurer au profit des auteurs un droit exclusif d'autoriser toutes communications au public de leurs œuvres, dans l'univers numérique. Même si l'exception de copie privée n'est jamais remise en question frontalement dans les textes, les mesures instaurées visant à sanctionner le contournement de moyen de protection revient exactement au même.

Alors que la technologie actuelle permet une grande circulation des œuvres et de la culture en général, il semble que les majors associées aux industriels fabriquant le matériel, envisagent plutôt un retour en arrière de plusieurs décennies.

Prenons l'exemple du téléchargement d'œuvres cinématographiques sur le site NetCine: l'utilisateur peut moyennant 15 € acquérir définitivement un film et donc le regarder autant de fois qu'il veut. Malheureusement, le système de clé associé à l'adresse IP de l'utilisateur, empêche ce dernier de déplacer le film sur un autre ordinateur. Pour les même raisons, le film ne peut être copié sur un support amovible tel qu'un CD-Rom. En cas d'effacement du disque dur pour des raisons de maintenance, le film sera définitivement perdu. Or, en raison du prix payé, le consommateur serait en droit de pouvoir conserver et donc archiver son film. Malgré l'intérêt évident d'un tel mode de vente, il est évident que les contraintes évoquées plus haut en limiterons le développement. Le consommateur préférera acheter une cassette VHS pour le même prix, qu'il pourra cette fois ci déplacer, stocker, et même copier librement.

Il est à prévoir que ce genre de contraintes techniques se multiplient à l'avenir, comme le montre clairement les caractéristiques des derniers produits mis sur le marché. Les fabricants de graveur de DVD tels que Apple ou IBM mettent par exemple en exergue les nombreuses possibilités d'archivage de films, mais oublient soigneusement de mentionner que l'enregistrement de programmes télévisés, ou de vidéo sur Internet est impossible. Il ne s'agit en aucun cas d'une impossibilité technologique, mais bien d'une volonté expresse de la part des fabricants associés aux compagnies de distribution. Dans le domaine musical, de nombreux enregistreurs de Mp3 sont disponibles sur le marché. Tous proposent une entrée numérique permettant l'enregistrement. En revanche, aucun ne dispose d'une sortie permettant de récupérer l'enregistrement en numérique. L'ajout d'une telle sortie ne coûterait pas beaucoup plus cher, pourquoi, alors n'existe-elle pas? Il est bien sûr possible de multiplier les exemples, je renvoi donc le lecteur à un excellent article de John Gilmore reproduit en annexe.

Ainsi, alors que la loi autorise expressément les consommateurs à réaliser un certain nombre de copies, les fabricants organisent une limitation de ces droits. La directive européenne du 22 mai 2001, dans ses considérants 38 et 39, analyse la reproduction à usage privé des œuvres ou autres objets protégés comme l'exercice d'une liberté individuelle. La mise en œuvre de mesures techniques de protections, elles même juridiquement protégées à l'article 6, ne doivent pas y faire obstacle.

Pourtant, le cahier des charges du CPRM , par exemple permet au distributeur d'un paquet de bits (s'il accède au logiciel qui offre cette possibilité) de décider que les futurs destinataires n'auront pas le droit de faire des copies de ce paquet de bits, ou alors deux, mais pas trois. Il est bien sur impossible de faire respecter cette clause sur le plan légal, puisque aucun texte ne le prévoit.
Mais on ferra respecter cette clause grâce au matériel construit par tous les fabricants d'envergure, parce qu'ils seront traînés en justice par les sociétés de cinéma s'ils osent fabriquer des équipements compatibles, qui laissent le consommateur faire trois copies, au lieux d'une.

Il se développe alors un risque de double paiement: l'utilisateur ne doit pas payer pour accéder à l'œuvre afin d'en réaliser une copie privée, alors qu'il a déjà payé la rémunération en achetant un support de d'enregistrement désormais taxé . (cf. Partie II, B, 1)

De ce fait se développe une gestion des droits gouvernée par la toute puissance des majors et des industriels qui s'arrogent la possibilité de décider où, comment, et avec quoi un film peut être visionné. Il me semble que le fait de laisser la gestion des droits d'auteur à des industriels dont le seul rapport avec l'art et la culture est dicté par des considérations purement économiques constitue un risque certain pour le public. Celui-ci risque, en effet, de se voir imposer des limitations beaucoup plus contraignantes que celles imaginées par la loi.

Le propre d'un film est d'être vu, et les mesures actuelles semblent aller dans le sens contraire. En attendant que les mesures techniques et juridiques se mettent en place permettant enfin aux consommateurs d'accéder aux films tout en respectant les droits des auteurs, d'autres personnes se chargent de mettre en ligne des films et de les diffuser. Il s'agira dans cette hypothèse, de diffusion en infraction totale avec la législation sur le droit d'auteur. Malheureusement, le développement de ces procédés illégaux renforce dans l'esprit des auteurs l'idée selon laquelle la mise à disposition de leurs œuvres sur le réseau entraîne un gros risque de piratage. Pour cette raison beaucoup préfèrent attendre des jours meilleurs, tout en constatant, impuissants, que leurs œuvres circulent pourtant sur le réseau sans leur rapporter un centime.

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PARTIE II

LA CONTREFACON PAR LA DIFFUSION ILLEGALE DES FILMS SUR INTERNET


En attendant que l’industrie cinématographique parvienne à s’implanter de manière décisive sur le réseau des réseaux et soit en mesure de proposer un catalogue de films digne d’un véritable vidéoclub, les cinéphiles ont d’ors et déjà commencé à s’organiser sur la toile. Profitant de l’exception de copie privée attachée à la plupart des régimes de droits d’auteur et des faiblesses des systèmes de protections que nous venons d’étudier, de nombreux internautes s’échangent des contenus vidéo, préalablement adaptées au format Internet, par le biais de réseaux d’échange qualifiés de Per to Per (Chapitre I).

Cette nouvelle forme de distribution bouleverse les réseaux classiques de diffusion détenus et organisés par les grands labels internationaux. Ces derniers cherchent bien évidemment à endiguer le phénomène en utilisant les instruments juridiques à leur disposition, quitte à donner l’impression de se battre contre des moulins. De leur coté, les maisons d’auteurs, tentent de trouver des compensations équitables, destinées à réparer le préjudice subit par les auteurs dont ils défendent les intérêts. Au milieu de cette agitation, de nombreuses voix s’élèvent pour critiquer la politique libérale et mono-culturelle suivie par les grands groupes de communication. Ces artistes, intellectuels, amateurs, imaginent sans cesse de nouveaux systèmes, offrant une liberté et un accès plus large à une culture ouverte, riche et techniquement accessible au plus grand nombre. Le droit de la propriété intellectuelle qui doit s’adapter constamment à de nouvelles technologies se trouve confronté à de nouveaux paradoxes et devra remporter le défit qui consiste à assurer une juste rémunération aux auteurs sans priver le public d’un véritable droit à la culture qu’il conviendrait d’ailleurs de mieux reconnaître (Chapitre II).

Chapitre I Les méthodes utilisées pour le piratage des films


Avant de pénétrer plus en avant dans le fonctionnement des réseaux et autres communautés d’échanges (§2), il convient de s’interroger sur les dernières évolutions techniques qui permettent aux utilisateurs de matériel informatique de copier leurs vidéothèques pour mieux les partager ensuite(§1).


§1. LE PIRATAGE DES DVD


A. "CSS" contre "DeCSS"

1. Problématique

La pratique consistant à copier des contenus audiovisuels et plus précisément des films était jusqu'à une époque récente réservée à une poignée de professionnels et d’amateurs éclairés.

Avant ce que l’on pourrait nommer "l'avènement du numérique", les seuls supports analogiques disponibles alors, ne se prêtaient guère à la copie. Non seulement la copie nécessitait un matériel coûteux tels que deux magnétoscopes VHS ou Betamax, mais en outre cette copie ne pouvait souvent se faire qu’à une vitesse 1X. C’est à dire que le temps de copie, était le même que le temps de visionnage du film. L’autre contrainte, découlant naturellement du caractère analogique du support, était celle de la qualité. Chaque copie faite en analogique perdait sensiblement en qualité, jusqu'à devenir inutilisable. On pourrait ajouter que même l’original lui-même se détériorait à l’usage, et ne pouvait donc permettre qu’un nombre de copies limité.

Avec la technologie numérique tous ces obstacles disparaissent et plus rien ne s’oppose à une multiplication des copies le plus souvent réalisées pour un usage privé.

En l’état actuel de la technique mise à la disposition du public, la copie de 700 Mo de données ne prend pas plus de dix minutes, ne nécessite aucune opération complexe et revient à moins d’un euro par support. Voilà qui suffirait à expliquer l’essor sans précédent de la copie numérique. Rappelons en outre, que la copie réalisée sera parfaitement fidèle à l’originale, et permettra à son tour de réaliser un nombre illimité de copies sans perte de qualité et sans altérer l’original.

Cantonnée jusqu'alors au seul domaine musical, cette pratique se répand actuellement en ce qui concerne la copie de films et coïncide avec l’apparition et le développement sur le marché des DVD . En effet, le DVD constitue le premier procédé de diffusion de films sur support numérique mis à la disposition du grand public. Or pour profiter des avantages coût / qualité de la copie numérique, il est, bien sûr, souhaitable que le support original utilise ce format. C’est maintenant chose faite. Les DVD disposent d’une capacité de mémoire de plusieurs giga octets, ce qui leur permet de supporter une vidéo de grande qualité, sous forme de fichiers audiovisuels numérique. Les DVD peuvent être lus par les lecteurs de DVD de salon ainsi que par les ordinateurs équipés de lecteur de DVD-Rom, et d’extension de matériel ou de logiciel capable de décoder le signal compressé.


2. Une protection originale des DVD: le système "CSS"

Ayant pris conscience des risques de piratage en observant les déboires de l’industrie musicale, l’industrie du Cinéma a souhaité assurer une protection maximum des produits audiovisuels diffusés sur support DVD.

Outre le système de zones déjà évoqué plus haut, les industriels ont mis en place un système de protection contre la reproduction illicite sur DVD baptisée "Content Scramble System" (CSS- Système de codage du contenu). La riposte de certains experts en programmation ne s’est pas faite attendre sous forme d’un programme de décryptage nommé DeCSS (Decode Copy Scramble System).

Le CSS contrôle l'accès aux fichiers numériques de films et empêche leur duplication. Il s'agit d'un système de protection à deux niveaux, qui utilise une série de clés mémorisées sur le DVD et le lecteur DVD pour valider l'authenticité de ces deux éléments.

Dans un premier temps, le CSS crypte les fichiers audio et vidéo. Pour ce faire, chaque DVD mis sur le marché est codé à l'aide d'une "clé" cryptée, qui identifie le disque. Dans un second temps, le matériel (lecteur DVD classique ou lecteur DVD d'ordinateur) est équipé d'un système correspondant qui lui permet de décrypter, décoder et lire l'information codée. Lorsqu'un lecteur DVD entreprend de lire un DVD, il utilise sa clé de lecteur et parcourt la liste de clés cryptées du disque, jusqu'à en décrypter une qui corresponde à celle du DVD. Une fois que la clé de disque correspondante est trouvée, la clé du lecteur est validée et une autre clé du DVD est alors disponible. Celle-ci sert ensuite à décoder vraiment le contenu du DVD.

Le CSS permet à l'appareil de lecture de décrypter et de lire les films mais pas de les copier. La DVD Copy Control Association (DVDCCA -Association de contrôle de la duplication des DVD) fournit les clés de CSS et en délivre les licences aux fabricants de disques et de lecteurs, soumis à de strictes exigences de sécurité. La licence interdit également la fabrication de matériel susceptible de fournir une sortie numérique utilisable pour la duplication de DVD protégés. Tous les moyens sont donc mis en œuvre par l'industrie cinématographique pour limiter au maximum les atteintes éventuelles aux droits d'auteur.
Cependant, à l'heure actuelle le CSS n'est compatible qu'avec les ordinateurs utilisant le système Windows ou Macintosh mais pas avec les logiciels libres de type Linux. Pour cette raison, en 1999, Jon Johansen un jeune norvégien a percé le système CSS en procédant par ingénierie inverse avec un lecteur DVD sous licence. A partir de l'algorithme et des clés de cryptage du CSS qu'il a découverts, il a mis au point un programme informatique baptisé "DeCSS" , qui décode et supprime le CSS et permet donc aux utilisateurs de regarder des films DVD sur des lecteurs dépourvus de licence, ou sur des systèmes d'exploitations libres, ainsi que de les copier en format numérique. Par la suite, les fichiers du film peuvent être envoyés par Internet comme n'importe quel autre fichier numérique. Johansen, suivant à la lettre la philosophie du logiciel libre, a proposé le DeCSS gratuitement sur son site Web. Le système s'est, bien sûr, rependu sur la toile, et on ne compte plus désormais le nombre de sites qui le proposent en téléchargement associé ou non à d'autres logiciels permettant de réaliser une copie de DVD en toute simplicité.


3. Les risques liés à l'utilisation du "deCSS"

La première étape de la duplication d'un fichier codé par CSS sur le disque dur d'un ordinateur non compatible consiste à "ripper" (c'est-à-dire à extraire et à décoder) les fichiers originaux (.vob) du DVD. Les fichiers .vob peuvent alors être compressés dans un format de fichier qui peut être lu par la plupart des lecteurs de médias informatiques. D'autres formats de codage peuvent ensuite être appliqués au fichier original pour parvenir à un taux de compression plus important encore tel que le format Divx que nous étudierons plus en détail par la suite. Bien que la qualité de ce produit final soit inférieure à celle du DVD original, elle demeure suffisante pour visionner le film sur un écran d'ordinateur, voir sur un téléviseur au prix d’une petite manipulation.

La réponse de l’industrie cinématographique ne s'est pas faite attendre et à pris la forme d’une mise en examen de Johansen le 9 janvier 2002 par l’ØKOKRIM (unité norvégienne de lutte contre la criminalité économique). Cette dernière lui reprochait en substance, d’avoir pénétré par effraction dans la propriété d’autrui, afin d’accéder à des données auxquelles il n’était pas autorisé à accéder.

Selon le Code pénal norvégien, Johansen encourt une peine de prison maximale de deux ans. Les poursuites engagées se fondent sur l'article 145 qui dispose que: « (…) la même peine est applicable à toute personne qui, en forçant un appareil de protection ou par une voie comparable, parvient illégalement à accéder à des données ou à un logiciel qui sont sauvegardés ou transférés par des moyens électroniques ou par d'autres moyens techniques ».

Cette mise en examen répond favorablement à l'action intentée par la DVDCCA et la Motion Picture Association (Association du film cinématographique) .

Cependant, l’action intentée contre Johansen soulève bon nombre de questions qui trouveront probablement une réponse lors du procès qui devrait avoir lieu prochainement. Parmi les questions les plus sensibles et n’ayant pas encore été résolues par la jurisprudence norvégienne relevons celle-ci :
Le système DeCSS peut-il être considéré comme des données ? Cette disposition s’applique-t-elle alors que l'utilisateur du DeCSS est propriétaire du support en question ? Enfin, l’ingénierie inverse peut-elle être poursuivie sur le terrain délictuel, ou encore sur le terrain contractuel, sachant que la licence d’utilisation n'autorise pas l'ingénierie inverse.

En attendant une réponse des tribunaux norvégiens, nous pouvons dès à présent nous pencher plus en détail sur les condamnations prononcées par la justice américaine, concernant la publication sur des sites Internet, de liens vers le fameux logiciel DeCSS.


a. L’affaire californienne : DVDCCA c/ Bunner

Par une injonction provisoire du 20 janvier 2000, le tribunal de première instance californien à interdit à Andrew Bunner toute publication du DeCSS sur son site Web ou ailleurs.

Dans cette affaire, la DVDCCA a avancé l'argument selon lequel le DeCSS contient, utilise et/ou est une dérivation substantielle d'une information confidentielle déposée. Elle prétend que le DeCSS constitue le passe-partout d'un titulaire de licence CSS homologué. Or, ce titulaire de licence propose le logiciel CSS exclusivement à travers un contrat de licence qui interdit l'ingénierie inverse. Tout utilisateur qui procède à l'installation du logiciel s'engage contractuellement par le biais du contrat de licence, qui stipule que le produit sous forme de code source est "confidentiel", constitue un secret commercial et que l'utilisateur une peut procéder à une ingénierie inverse... d'aucune portion du produit".

En appréciant ces faits, le tribunal de première instance a conclu que la DVDCCA pouvait soutenir que le CSS constituait un secret commercial et qu'elle s'était raisonnablement efforcée de le protéger. Pour raisonner, le tribunal s'est fondé sur le "Uniform Trade SecretAct" . Il a estimé que ce secret avait été percé par ingénierie inverse. Selon la loi californienne relative au secret commercial, toute personne qui divulgue ou utilise un secret commercial, dont elle savait ou aurait dû savoir qu'il avait été porté à la connaissance d'une tierce personne par des "moyens illicites" ou en violation d'une obligation de non-divulgation, détourne ce secret commercial.

Le tribunal de première instance a supposé que Bunner avait divulgué le DeCSS alors qu'il aurait dû au moins savoir que le DeCSS avait été créé par l'utilisation non autorisée d'une information déposée relative au CSS, qui avait été obtenue par le percement illégal du code par Johansen. Le caractère illégal de l'acte de Johansen est cependant la conséquence de la violation du contrat de licence qui interdisait l'ingénierie inverse, et non de l'ingénierie inverse elle-même, puisque cette dernière est expressément considérée comme ne constituant pas un moyen illicite . Notons cependant que le tribunal de première instance s'est abstenu d'interdire les liens vers d'autres sites Internet, en décidant que le propriétaire d'un site n'était pas responsable du contenu d'autres sites. En outre, les liens ont été jugés indispensables à l'accès Internet.

Le premier novembre 2001, l'injonction à été annulée en appel, mais comme l'indique la décision du 22 février 2002, l'affaire sera désormais entendue par la Cour Suprême Californienne.


b. L'affaire New-Yorkaise : DVDCCA c/ Corley

- Utilisation du "Digital Millenium Copyright Act"

Contrairement à la précédente, l'action intentée se fonde cette fois ci sur la loi fédérale du "Digital Millénium Copyright Act" (DMCA) du 8 octobre 1998 en abordant la notion d'outils de contournement illicite.

En l'espèce, le Tribunal fédéral de grande instance du district sud de New York a par une décision du 23 août 2000 interdit aux défendeurs l'affichage du DeCSS sur leur site Web. Ces derniers ont fait appel de la décision mais ont été déboutés le 28 novembre 2001 par la Cour d'appel fédérale itinérante de la deuxième circonscription.

Le DMCA, comme nous l'avons vu précédemment, transpose en droit fédéral américain l'obligation de l'article 11 du Traité sur le droit d'auteur de l'OMPI (WCT) et l'article 18 du même Traité sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes de l'OMPI (WPPT), en vue d'assurer une protection contre le contournement des mesures technologiques utilisées par les titulaires de droits d'auteurs pour protéger leurs oeuvres. Le DMCA fait une distinction entre les mesures technologiques qui empêchent "l'accès" sans autorisation à une oeuvre protégée par le copyright (article 1201 (a)(2)) et celles qui empêchent la "duplication" sans autorisation d'une oeuvre protégée par le copyright (article 1201 (b)(1))40). Alors que le trafic est interdit pour les deux catégories, l'acte de contournement en lui-même, n'est interdit que pour la première.

Le Tribunal de grande instance a classé le CSS dans les mesures de contrôle d'accès (article 1201 (a)(2)), puisque le logiciel nécessite plusieurs clés avant de permettre la lecture d'une oeuvre protégée par CSS sur DVD. L'accès à ces clés est accordé exclusivement par contrat de licence ou par l'achat d'un lecteur DVD classique ou d'un lecteur de DVD d'ordinateur contenant les clés conformément à ce type de licence. En mettant au point le DeCSS, Johansen a donc contourné cette mesure technique puisque le DeCSS est capable de décrypter une oeuvre codée que représente le fichier de film protégé, sans l'autorisation du titulaire du copyright (article 1201 (a)(1)(A)).


Le Tribunal de grande instance a ensuite examiné si Johansen aurait pu invoquer avec succès ce qui a été appelé l'argument Linux. Johansen soutenait en effet qu'il n'avait créé le DeCSS que dans le but de pouvoir lire un DVD sur un ordinateur équipé du système d'exploitation Linux (le logiciel de lecture n'existait pas à l'époque). L'argumentation n'était pas dénuée de fondement, puisque l'article 1201 (f) du DMCA exonère de toute responsabilité "les particuliers qui mettent au point ou utilisent une technologie de contournement exclusivement dans le but d'identifier et d'analyser les éléments du programme nécessaires pour réaliser l'interactivité des programmes informatiques au moyen de l'ingénierie inverse, sous réserve qu'ils soient habilités à utiliser un exemplaire du programme informatique à cette fin".

Cependant, le DeCSS a incontestablement été mis au point et fonctionne sous Windows, si bien que les fichiers décryptés pouvaient évidemment être copiés comme n'importe quel autre fichier non protégé utilisant Linux ou Windows. En outre, le Tribunal de grande instance a estimé que le fait de forcer le CSS représentait surtout pour son auteur un défit technique personnel. Tout au plus la mise au point d'un lecteur DVD fonctionnant sous Linux aurait-il pu constituer l'un de ses objectifs. Mais dans tous les cas, pour les défendeurs qui n'étaient pas les inventeurs du DeCSS, l'intention de favoriser l'application Linux aurait été sans importance puisque, en principe, seule la personne ayant obtenu une information par ingénierie inverse peut mettre cette information à disposition d'autrui.

Le Tribunal de grande instance a jugé que la diffusion par les défendeurs du DeCSS sur leurs sites Web était constitutif d'une violation des "dispositions anti-trafic" des articles 1201 (a)(2) et 1201 (b)(l). Bien qu'elle se soit principalement penchée sur l'alternative "accès", la Cour d'appel s'est aussi attachée à déterminer si le CSS empêchait la duplication non autorisée. Elle a conclu que "le dossier est extrêmement imprécis sur le type de protection offert par le CSS contre la duplication d'un DVD, par opposition avec la lecture d'un DVD sur un lecteur dépourvu de licence", mais que "le programme DeCSS élimine l'élément secret qui verrouille la duplication du fichier". En conséquence, la disposition anti-trafic qui concerne la protection contre la duplication illicite est également applicable.

Concernant l'alternative d'accès et de duplication, la législation interdit le trafic des appareils qui "sont essentiellement conçus ou produits à des fins de contournement", "dont le but ou l'usage, autre que le contournement, ne présente qu'une importance commerciale limitée" ou "qui sont commercialisés pour un usage de contournement". Le Tribunal a confirmé chacune de ces trois alternatives pour la simple raison que l'offre ou la fourniture du programme est constitutive d'une conduite prohibée et il en est ainsi, quelles que soient les raisons pour lesquelles le programme a été conçu, sauf cas d'exception prévu par la loi.


Le Tribunal de grande instance devait également procéder à l'appréciation des liens hypertextes vers d'autres sites Web contenant le DeCSS. La question était de savoir si cet acte constituait une offre du DeCSS au public ou une fourniture ou encore un trafic du DeCSS au sens de l'article 1201 (a)(2) du DMCA. En l'espèce, le tribunal a considéré que "le fait pour une personne de présenter, offrir ou mettre à disposition une technologie ou un appareil de contournement, en ayant connaissance de sa nature, dans le but de permettre à autrui d'en faire l'acquisition, relève de la disposition anti-trafic du DMCA".
En réalité, le tribunal a raisonné à contrario en considérant que si les sites ont été reliés de manière à enclencher automatiquement le processus de téléchargement du DeCSS, le lien équivaut à un transfert du code DeCSS à l'utilisateur. Cette solution s'appliquera aussi lorsque le lien conduit à une page Web uniquement destinée à lancer le téléchargement. En revanche l'analyse du tribunal devient contestable dès lors que le lien pointe sur une page proposant "un contenu important autre que le DeCSS". Malheureusement, cette possibilité n'a pas été envisagée et les liens ont donc été déclarés en infraction avec le DMCA. Cette analyse a en outre été confirmé par la Cour fédérale d'appel.

Pourtant, le fait de réaliser une copie privée d'un support audiovisuel légalement acquis, bénéficie depuis des années des faveurs de la loi qu'elle soit européenne ou américaine. Le code français de la propriété littéraire et artistique dispose en effet à l'article L.122-5 alinéa 2 que "lorsque l'œuvre à été divulguée, l'auteur ne peut interdire les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective …". Cette exception existe aussi en droit anglo-saxon sous la forme de l'exception de fair use (ou "usage loyal").

- utilisation de l'exception de "Fair Use"

Le Tribunal de grande instance a ensuite examiné si le DMCA violerait la loi relative au copyright si elle devait être interprétée comme "éliminant" l'exception d'usage loyal codifiée à l'article 107 de la loi relative au copyright. De fait, le CSS (protégé par la DMCA) rend impossibles certains usages qui pourraient constituer des exceptions, notamment parce qu'il empêche la duplication exacte de tout ou partie du fichier numérique. Selon le Tribunal de grande instance, l'usage loyal (fair use) justifie la violation du copyright (et en tant que tel il n'est expressément pas concerné selon l'article 1201 (c)(l) du DMCA), alors que le DMCA interdit l'offre et la fourniture d'une technologie conçue pour contourner les mesures technologiques qui contrôlent l'accès aux oeuvres protégées par le copyright.

De plus, le DMCA interdit uniquement l'acte de contournement et non la duplication une fois l'autorisation d'accès obtenue. Elle énonce également en termes concrets six exceptions qui précisent la notion d'usage loyal, parmi lesquelles l'ingénierie inverse, la recherche de cryptage et le contrôle de sécurité. L'historique de l'élaboration de la DMCA montre que le Congrès a établi cette liste afin d'équilibrer les intérêts contradictoires et qu'il s'est délibérément abstenu d'y inclure une justification supplémentaire au titre de "l'usage loyal".

La Cour fédérale d'appel a confirmé ces conclusions, en précisant que la Cour suprême des Etats-Unis n'a jamais considéré l'usage loyal comme une exigence constitutionnelle.



B. Le format DivX: le Mp3 de la vidéo?


Si comme nous l’avons vu, le décodage du DVD constitue une étape indispensable à sa circulation illégale, d’autres traitements sont en général appliqués au film, pour lui permettre de s’émanciper réellement de son support d'origine.


1. L'intérêt technique du DivX ;-)

Le volume de donnée contenu sur un support DVD encodé au format Mpeg2 est tel (entre 4 et 6 Giga octets), qu’il est quasiment impossible pour un particulier de le déplacer ou de le copier. En effet, les graveurs de DVD sont encore rares sur le marché et donc relativement coûteux. La seule possibilité consiste donc à réduire le volume final du film grâce à des logiciels de compression.

Ces logiciels permettent de ramener le poids d’un long métrage à environ 700 Mo ou encore de le découper en plusieurs "paquets" de cette taille. Ce volume de 700Mo est vous l'aurez compris, conditionné par la capacité actuelle des CD-Rom enregistrables, dont les appareils permettant la gravure sont maintenant largement répandus au sein des foyers.

Même si le traitement occasionne une perte de qualité sensible par rapport au DVD, le film reste parfaitement regardable sur un téléviseur, et peut même être projeté sur un mur.
Le procédé utilise un format de donnée baptisé DivX;-) que je vous propose de découvrir plus en détail à présent.


2. Les origines du DivX ;-)

Le DivX;-) tel que nous le connaissons actuellement est le résultat d'un "bricolage" effectué par deux jeunes "hackers" dont un français Jérôme Rota, et un allemand "Max Morice" , tous deux passionnés d'informatique.

En réalité, le Divx (Digital Video eXpress) était à l'origine un format de compression vidéo utilisé aux Etats-Unis pour distribuer des films sur CD . Le mode de commercialisation était assez surprenant. En effet, les supports Divx n'étaient lisibles sur des lecteurs spécifiques que durant une période limitée. N'ayant pas connu, (et pour cause !) le succès escompté, le Divx disparût. Les deux informaticiens ont récupéré le nom, et l'ont enrichi d'un smiley, en guise de clin d'œil.

Le format Divx est fondé sur la norme de compression MPEG-4 défini par le groupement "Motion Picture Expert Group" . Cette norme a été développée par Microsoft dans un esprit d'ouverture et de diversité, puisqu'elle permet l'intégration aisée de nouveaux codecs (abréviation de COmpression DECompression) vidéo sous Windows. Le codec MPEG4 intégré au logiciel de Microsoft n'étant pas, en termes de qualité, à la hauteur des attentes de nos deux informaticiens cinéphiles, ceux-ci l'ont quelque peu "modifié", pour lui permettre notamment de fonctionner sur la base des fichiers ".avi "

En raison de ce détournement de technologie, Microsoft n'a pas tardé à réagir en menaçant de poursuivre quiconque offrirait le système DivX sur son site Internet. Cependant, aucune mesure n'a jamais été prise, très certainement en raison du grand nombre de sites proposant le DivX en téléchargement. Certaines mauvaise langues ajouterons, que Microsoft s'est bien gardé d'attaquer les utilisateurs d'une technologie qui ne pouvait, dans un premier temps, fonctionner que sur les ordinateurs équipés de Windows; et ce, contrairement à la technologie DVD que le géant de Redmont ne contrôle pas. Cette technologie, a beaucoup évoluée et les deux informaticiens ont depuis développé d'autres versions du logiciel, mais sous une forme légale cette fois ci, puisque les dernières versions n'incluent plus aucun fragment des technologies Microsoft. Ces recherches et travaux présentés sous le nom de "Project Mayo " puis de "DivXnetworks ", ont donné naissance à plusieurs version du logiciel dont la dernière (5.0) dépasse largement la qualité d'une cassette VHS classique.
Le son est quant à lui toujours compressé à l'aide du désormais classique format Mp3 , offrant une qualité de son tout à fait acceptable.


3. La réalisation d'un DivX

Actuellement les normes de compression ne cessent d'évoluer et permettent de faire évoluer considérablement la qualité des fichiers, pour un encombrement de plus en plus en plus réduit.

Bien que les DVD basés sur le format de compression Mpeg2 constituent le standard actuel, concernant la vidéo grand public, force est de constater que le format Avi / DivX est désormais la norme de référence pour tous les fichiers vidéo issus d'Internet.

La technologie DivX étant désormais libérée de tout emprunt à Microsoft et développée sous forme d'une licence GNU , elle ne pose plus en elle-même de problème de légalité. Chacun est donc libre de l'utiliser, voir de l'améliorer, pour encoder ses propres productions. En revanche son utilisation à partir d'un DVD sera toujours considérée comme illégale, puisque nécessitant l'utilisation du logiciel DeCSS.

Actuellement de très nombreux logiciels permettant de transformer un DVD en DivX sont proposés gratuitement sur le Web. Ces derniers font appel à une intégration de plus en plus poussée des différents logiciels qu'ils incorporent et qui permettent à de parfaits néophytes, de réaliser leurs copies en toute simplicité. Maintenant, quelques clics de souris suffisent pour lancer une procédure pourtant relativement complexe. Ces logiciels réalisent en effet plusieurs traitements sur l'image et le son, pris isolément, avant de les réunir par une opération de multiplexage des signaux (voir schéma infra).

 

Notons que les logiciels les plus aboutis permettent de choisir plusieurs des langues disponibles sur le DVD et dans certains cas d'utiliser les sous-titres. Ces logiciels permettent en outre de modifier le format de l'image (16/9 ou 4/3), de choisir la taille finale du fichier (dont dépendra la qualité) et même de rajouter un "autorun " ou encore de lancer directement la gravure à la fin du traitement. Bref, de quoi disposer d'un véritable produit fini, certes parfaitement illégal, mais tellement séduisant….

shéma de création d'un DivX 

Il est vrai que ce traitement nécessite une puissance de calcul relativement importante sous peine de voir défiler les heures , mais il est évident que les progrès de l'informatique grand public permettront bientôt de réaliser beaucoup plus rapidement ce genre d'opération.

Notons enfin avant de clore cette partie technique, que les DVD ne constituent pas la seule source de films en format DivX. Il arrive fréquemment que les films diffusés sur le réseau soient issus de projections cinématographiques filmées à l'aide de caméras numériques, introduites illégalement dans la salle.
Cette pratique appelée "screnner" permet parfois d'avoir accès à des films qui ne sont pas encore sortis en salle en France et encore moins en DVD. Il s'agira par exemple de versions québécoises, ou d'avant-premières et de projections privées réalisées à la légère, sans protections suffisantes.

Du strict point de vue du droit d'auteur, cette technologie représente un danger évident pour les ayants droits. Au-delà du contournement de mesures techniques (DeCSS) il y a, bien sûr, la réalisation d'une copie. Il est vrai que cette dernière se fera souvent à usage privé et entrera donc dans le champ des exceptions classiques du droit d'auteur. Cependant outre l'atteinte aux droits patrimoniaux de l'auteur, ce dernier voit aussi ses droits moraux mis à mal. Bien que le Divx soit d'une qualité tout à fait correcte, les étapes de numérisation et de compression altèrent sensiblement la qualité de l'œuvre finale. Or, l'article L121-1 du code la propriété intellectuelle pose clairement l'obligation de respecter l'œuvre, et de s'abstenir de lui porter atteinte. De même qu'il avait été jugé que le fait de numériser une œuvre portait atteinte à ce droit, il est évident que le fait de la compresser au maximum, provoque une altération significative et donc une atteinte aux droits moraux. Les droits moraux étant par principe inaliénables et imprescriptibles, leur invocation pourrait permettre d'agir, dans les hypothèses ou le droit patrimonial n'est plus utilisable, notamment, pour une œuvre tombée dans le domaine public.



§2. LA DIFFUSION DES ŒUVRES SUR LES RESEAUX VIA LES SYSTEMES PEER TO PEER

Pouvoir se constituer sa propre vidéothèque à partir de DVD loués est certes séduisant, mais les relations amicales permettent souvent d’élargir ses horizons en bénéficiant indirectement de produits achetés par d’autre, et prêtés pour l’occasion. Les réseaux dits peer to peer n’ont d’autre finalité que de mettre en place un système d’échange de média au sein d’une communauté donnée d’utilisateurs.

Le système du Peer to Peer (littéralement, "d'égal à égal", ou "de pair à pair"), est un système d'échange direct de ressources entre machines connectées.
Dans une architecture peer to peer, les ordinateurs - utilisés généralement comme clients dans le modèle client/serveur - peuvent agir à la fois comme clients et comme serveurs, c'est-à-dire comme des peers. Ce fonctionnement permet donc l'échange de programmes, de fichiers (audio, vidéo ou autres), voire la mise en commun de la puissance de calcul des machines. Un tel système permet de réduire les chargements sur les serveurs et de fournir plus efficacement des services spécialisés.
De tels systèmes permettent une reproduction à très grande échelle, la pratique courante consistant à s’échanger entre amis, un album de musique, un film, ou tout autre média. Certes le débit de connexion actuel ne permet pas de récupérer instantanément le contenu désiré, à plus forte raison si celui-ci est un film long-métrage (environ 700 Mo), cependant le fait de pouvoir récupérer le même fichier depuis plusieurs utilisateurs connectés en même temps, permet d’accroître considérablement la vitesse de transmission. En pratique, avec une connexion ADSL classique, un film mettra entre une nuit et une semaine à arriver, selon sa popularité et donc sa disponibilité sur le réseau. Le lecteur sera tenté de faire remarquer que les vidéoclub ont encore de beaux jours devant eux. Cependant l’avantage combiné de la gratuité et de la diversité des sources offertes sur les réseaux, ne supporte pas la comparaison avec le meilleur des vidéos club. Pour pallier la lenteur des infrastructures de télécommunications, les utilisateurs de réseaux d’échanges, multiplient le nombre de requêtes pour utiliser au maximum la bande passante disponible. Une fois le mouvement lancé et correctement entretenu, il est parfaitement possible de récupérer par ce biais, plus de films qu’il n’en faut pour agrémenter les longues soirées d’hiver.


A. Les origines du Peer to Peer:

Souvent présenté comme une révolution, le peer-to-peer n'a pourtant rien de nouveau puisqu'il s'agit d'un concept vieux comme le monde connecté : l'informatique distribuée. En effet, il y a 30 ans, de nombreuses compagnies travaillaient déjà sur des architectures qui seraient aujourd'hui estampillées peer-to-peer. À l'origine, l'Internet était conçu comme un système peer-to-peer.
Le but du premier réseau (Arpanet) était de permettre aux militaires, puis aux universitaires de partager des ressources informatiques à travers les États-Unis. Bien avant qu'il ne devienne fondamentalement une infrastructure client/serveur, Internet était initialement un media conçu pour la communication entre machines partageant des ressources, toutes étant sur un pied d'égalité.
Pourtant, malgré cette ancienneté, le site d’échange de fichiers musicaux « NAPSTER », avait été présenté comme une innovation majeure. Ce site, rappelons le, permettait de télécharger, depuis sa machine, des fichiers musicaux MP3 provenant des millions d'ordinateurs connectés.
Ce site, pendant longtemps la coqueluche des surfeurs assoiffés de musique gratuite, avait été fermé en 2001 suite à un procès intenté par les principales maisons de disques internationales représentées par la « Recording Industrie Association of America » (RIAA), qui l’accusait de faciliter le piratage de leurs catalogues. La société n’avait pas réussi (ou pas voulu) mettre fin à l’échange de musique protégée par les droits d’auteurs, malgré l’installation de filtres.
Malgré le rachat de la société par l’éditeur allemand Bertelsmann (BMG) pour 33 millions d’euros, Napster a tourné une page définitive de son histoire en déposant son bilan le 3 juin 2002.
Le lancement d’un service par abonnement n’a pas convaincu les internautes habitués au tout gratuit. En outre, la procédure du dépôt de bilan permis à Napster de se soustraire, au moins temporairement, aux poursuites engagées par les maisons de disques. Loin d’anéantir le modèle du Per to Per, la fermeture du site Napster a provoqué l’émergence d’une multitude d’autres sites reprenant la même architecture et attirant, bien sûr, les mêmes utilisateurs.

Parmi ses successeurs les plus connus, on peut citer Cute MX, Scout Exchange ou encore Audiogalaxy. Cependant, ces sites ont les uns après les autres, subi les attaques de la puissante RIAA. Le 24 mai 2002 par exemple, cette dernière à intentée un procès à la société Audiogalaxy pour violation de copyright. Cette action s’est soldée par la signature le 17 juin 2002 d’un accord amiable. Cependant, afin d'obtenir ce répit, Audiogalaxy a dû faire des concessions radicales: outre le versement d'une somme d'argent d'un montant non divulgué, le site a accepté de renforcer considérablement son système de filtres. Celui-ci, qui ne censurait qu'une liste réduite de titres très populaires, avait été jugé "inefficace" par la justice américaine. Basculant d'un extrême à l'autre, la société s'est engagée à limiter désormais les téléchargements aux seuls morceaux pour lesquels elle obtiendrait l'accord des ayants droit. Ce qui revient en fait, à interdire la quasi-totalité des titres.
Malgré le fait qu’il soit toujours présent sur la toile, ce site ne présente plus aucun intérêt puisque que les fichiers, bien que toujours visibles, sont désormais inaccessibles. Il est donc voué à disparaître au même titres que les sociétés précédemment évoquées, faute de pouvoir développer une offre payante attractive.

Cependant, les applications de type Napster ne répondent pas au sens le plus strict à la définition du peer-to-peer, puisqu'elles utilisent un serveur central pour stocker les pointeurs et gérer les adresses des internautes. C’est d’ailleurs pour cette raison que les attaques portées par la RIAA ont pu aboutir à des condamnations et à des fermetures de sites (B). Depuis d’autres architectures ont vu le jour et constituent un véritable maillage parallèle du réseau Internet (C).

B. Le Peer to Peer Centralisé

Ce premier modèle de Per to Per (celui utilisé par Napster), emploie un serveur central qui permet de répertorier les ordinateurs connectés et les fichiers disponibles. Cet index permet de fournir au client une liste précise des fichiers disponibles: lorsqu'une requête est effectuée, les utilisateurs peuvent communiquer directement entre eux sans aucun besoin d'assistance du serveur. Chaque fois qu'un utilisateur soumet une requête, ou recherche un fichier particulier ; le serveur central crée une liste de fichiers correspondant à la requête, et vérifie dans la base de données du serveur les fichiers qui appartiennent aux utilisateurs connectés au réseau. Le serveur central affiche cette liste, et le client peut ainsi sélectionner les fichiers désirés, depuis la liste et ouvrir une connexion directe avec l'ordinateur individuel qui détient ce fichier. Le téléchargement se fait directement, entre un utilisateur et un autre.
L’avantage principal de ce système est l'index central qui permet de localiser les fichiers rapidement et efficacement, grâce à la base de données du serveur, régulièrement mise à jour. En outre, tous les clients sont obligés d'être connectés sur le réseau du serveur: la requête atteint donc tous les utilisateurs connectés, ce qui rend la recherche encore plus pertinente.
Le principal inconvénient du système réside dans sa vulnérabilité puisque l’internaute doit nécessairement passer par un seul et unique serveur. Une panne de ce serveur, ou encore et surtout sa fermeture ordonnée en justice provoquent l’arrêt irrémédiable de toute l’application.
Dans la majorité des affaires de contrefaçon mettant en cause un site Internet , la difficulté principale pour mettre fin à l’atteinte, réside dans le fait que les sites peuvent se déplacer rapidement d’un bout à l’autre de la toile. Même si un site Internet fait l’objet d’une condamnation entraînant sa fermeture, il est fort probable, en pratique, que son contenu soit de nouveau accessible très rapidement via un site miroir ou un quelconque autre lien.

shéma du modèle centralisé du P to P

Concernant en revanche un site Internet de Peer to Peer semblable au modèle que nous venons d’étudier, il est évident que sa richesse ne réside que dans la masse des internautes, utilisateur du service et donc du site (70 Millions d’utilisateurs à l’époque pour Napster). Déplacer un site ne suffit donc pas à assurer sa survie: si les utilisateurs ne suivent pas, celui- ci n’aura qu’un bien maigre contenu à proposer.
De plus, le modèle centralisé garde en mémoire les requêtes et les téléchargements effectués par chaque utilisateur. Même si les maisons de disques ne se sont pas attaquées directement aux utilisateurs, et bien que ce fichier n’ait pas été officiellement utilisé lors des procès, il a officieusement permis d’identifier les plus gros utilisateurs du système. L’existence même de ce fichier fait donc peser un risque certain sur les utilisateurs, qui pourraient théoriquement être retrouvés et condamnés.

En raison donc du caractère apparent du site et du fait qu’il ne puisse pas être facilement déplacé, je suis convaincu que ce modèle d’échange centralisé à vécu et disparaîtra très rapidement, à terme, de la toile.
Cependant les internautes avides de médias bon marché, ne se sont pas arrêtés là et d’autres systèmes reposant sur une architecture beaucoup plus évoluée, ont vu le jour. Il s’agit principalement des systèmes Peer to Peer décentralisés.


C. Le Peer to Peer Décentralisé :

Ce deuxième modèle, largement utilisé par Gnutella, Kazaa, ou encore Morpheus, repose sur des nœuds de réseaux, plutôt que sur un serveur central : il s’agit donc d’un système d'échange de fichiers totalement décentralisé. L'utilisateur du logiciel se connecte via Internet à l'ordinateur d'un ou plusieurs autres utilisateurs, le tout constituant un réseau. Par ce biais, chacun des utilisateurs met à disposition de l'ensemble de la communauté une certaine partie des fichiers de son ordinateur. Une requête lancée à la communauté des utilisateurs sera communiquée à l'ensemble des machines du réseau. Ce modèle est plus difficile à utiliser que le premier, car les utilisateurs finals doivent trouver un nœud de départ sur le réseau pour pouvoir se connecter. Sans cela, le réseau ne peut pas être utilisé et un « peer » ne peut en trouver un autre.
Le principe est le suivant : un ordinateur "A", équipé d'un programme spécifique (baptisée par Gnutella "servent", car il remplit les fonctions de client et de serveur à la fois), se connecte à un ordinateur "B", lui aussi équipé de ce programme. "A" lui annonce ainsi qu'il est "en vie". "B" relaie cette information à tous les ordinateurs auquel il est connecté, "C", "D", "E" et "F"… Ceux-ci relaieront l'information, à leur tour, aux ordinateurs auxquels ils sont connectés, et ainsi de suite avec tous les ordinateurs du réseau…
Une fois que "A" est reconnu "vivant" par les autres membres du réseau de peers, il peut chercher le contenu qui l'intéresse dans les répertoires partagés des autres membres du réseau. La requête sera envoyée à tous les membres du réseau, en commençant par "B", puis vers tous les autres membres. Si l'un des ordinateurs dispose de ce fichier, il transmet l'information vers "A". Ce dernier pourra ainsi ouvrir une connexion directe vers cet ordinateur et télécharger le fichier. Ce modèle décentralisé, est beaucoup plus robuste qu'un modèle centralisé puisqu'il n'est pas dépendant du serveur, point de défaillance potentiel d'un réseau. Autre avantage : si l'un des utilisateurs se déconnecte du réseau, la requête pourra être poursuivie vers les autres ordinateurs connectés.

shéma du modèle décentralisé du P to P


La principale caractéristique du modèle décentralisé est sa faculté de passer totalement inaperçu. Dans le modèle centralisé, le passage par un site Internet constitue en effet un passage obligé, et permet donc le repérage des utilisateurs. Dans le modèle décentralisé, en revanche, des serveurs naissent et disparaissent à un rythme soutenu, le plus souvent chez des particuliers ce qui rend quasiment impossible leur contrôle. En outre, le système lui-même ne présente au départ aucune illégalité. Le fait de partager des fichiers sur les réseaux n’est pas nouveau et se pratique couramment via des serveurs FTP .
Ce partage de fichiers, de même que le logiciel qui le permet est une avancée évidente de la technologie informatique, qui peut difficilement être remise en question.

Pourtant, les industries de la musique et du cinéma ne pouvaient pas rester indifférentes face à cette situation. A l’heure actuelle, seul le système d’échange « Kazaa » a fait l’objet d’un procès intenté par une association d’auteurs compositeurs hollandais . Par une décision du 29 novembre 2001 , le tribunal de première instance hollandais, avait lourdement condamné les auteurs de ce logiciel d’échange de fichiers. La société éditrice avait été condamnée a retirer de son réseau tous les fichiers audiovisuels protégés par le droit d’auteur, sous astreinte de plus de 45000 € par jour. La décision allait dans le sens de celles déjà rendues à propos de « Napster » en considérant que l’utilisation du système favorisait les atteintes au droit d’auteur.
Cependant, appelée à se prononcer à son tour sur l’affaire, la cour d’appel a, par une décision du 28 mars 2002, conclu à l’irresponsabilité de la société éditrice pour les actes commis par les utilisateurs.
La cour a en effet considéré, que ce logiciel pouvait être utilisé à des fins parfaitement légales, comme l’échange de fichiers non protégés par les droits d’auteur. Elle a en outre admis, que même s’il est techniquement possible de reconnaître les fichiers faisant l’objet d’une protection par le droit d’auteur, il est en revanche impossible d’intégrer dans ce logiciel (et dans aucun autre) un procédé technique tel qu’un firewall permettant d’empêcher le partage illicite de fichiers.
Il semble donc que la cour ait implicitement reconnu que Kazaa ne pouvait contrôler l’usage fait de son logiciel, après qu’il ait été téléchargé par un utilisateur et installé sur un quelconque PC.
Notons que dans cette décision, la cour réaffirme implicitement la décision «Sony» rendue en 1984 par la Cour Suprême américaine, qui avait considéré que le fabricant de VCR ne saurait être responsable de l’atteinte éventuelle aux droits d’auteur commise par les utilisateurs, du fait de l’usage de VCR.

Bien que l’industrie musicale et cinématographique ait subi une cuisante défaite, la guerre n’est pas finie. Kazaa, comme les autres systèmes de partage font, ou feront rapidement l’objet de poursuites judiciaires outre atlantique. Or les tribunaux américains ne font pas grand cas des jurisprudences européennes comme l’illustre l’affaire Yahoo . Une solution inverse est donc toujours envisageable…mais sur quel fondement ?

Il semble qu’une distinction doive désormais être faite entre les deux types de systèmes Per To Per étudiés.
Le système centralisé facilite les atteintes aux droits d’auteurs, au bénéfice des utilisateurs, mais il a aussi pour conséquence d’enrichir considérablement les propriétaires du serveur central. Ces derniers profitant du passage obligé des utilisateurs, tirent en effet de la publicité une rémunération substantielle, ainsi qu’une valeur marchande certes contestable puisque ne reposant sur aucun contenu, mais cependant bien réelle.
En plus du rachat de parts de Napster par BMG (pour 33 millions d’euros) ce dernier a accordé des prêts pour un montant de plus de 110 millions d’euros.
Selon la classique théorie du risque en matière de responsabilité, il semblera normal que celui qui tire un avantage matériel ou moral d’une activité en supporte les conséquences dommageables pour les tiers. Ce simple principe d’équité expliquerait donc la légitimité des condamnations prononcées contres Napster et Audiogalaxy.

En revanche, concernant les systèmes d’échanges parfaitement décentralisés, la personne physique ou morale qui distribue le logiciel d’échange n’en retire en général aucun avantage matériel direct ou indirect. En effet le téléchargement lui-même est totalement gratuit et la publicité quasiment inexistante. A ce sujet, notons que certains logiciels de Per to Per étaient dans un premier temps associés à des logiciels espions (ou Spyware) qui affichaient des bandeaux de publicité de manière intempestive, ou encore diffusaient des informations nominatives, concernant l’utilisateur, à des sociétés de marketing peu scrupuleuses. Il semble que cette pratique tende à disparaître, sous la pression des utilisateurs qui proposent des moyens de contournement. Ainsi le profit des distributeurs du logiciel tend à devenir quasiment nul. Pour cette raison, il semble délicat de s’en prendre directement au fabricant du logiciel. Une interdiction de ce type de logiciels reviendrait à considérer comme illégaux tous les systèmes d’échanges de fichiers, au premier rang desquels figurent les logiciels utilisant le protocole FTP.

En définitive, interdire ce type de réseaux parallèles constituerait une entreprise titanesque, et pour tout dire vouée à un échec certain. En outre, les internautes souvent plus rapides que la justice ne manquent pas de ressources et emploient généreusement leurs talents de programmeurs pour créer de nouveaux systèmes de plus en plus complexes et de plus en plus élaborés.


D. Vers d'autres systèmes plus agressifs

Au-delà de la simple contrefaçon, de nouveaux systèmes parfaitement illégaux fleurissent actuellement sur Internet, utilisant frauduleusement les ressources informatiques de grosses entreprises ou de collectivités.
L’opération est la suivante : un petit génie du piratage prend le contrôle d’un gros système informatique au moyen de logiciels détectant les failles de sécurité . Une fois cette opération effectuée, il lui est alors loisible de créer un dossier de la taille désirée au sein de ce système. Afin d’assurer la pérennité de ce dossier, le pirate fera en sorte qu’il ne puisse être effacé sans entreprendre un formatage complet du serveur (opération longue, coûteuse et très délicate sur ce type de machines).
Il ne reste alors plus au pirate, qu’à ouvrir les ports du firewall pour permettre à toute personne de lire et écrire sur ce dossier via un serveur FTP.
Une solution intermédiaire consiste aussi à utiliser les serveurs de FTP publics, c'est à dire ceux accessibles anonymement. Il n'y a plus dans cette hypothèse de piratage du système, tout au plus une utilisation abusive des ressources informatiques.
La promotion de ces nouveaux espaces d’échange, auprès des utilisateurs se fait par l’intermédiaire d’un site Internet permettant de poster des messages. En général ce genre de sites dispose d’une façade parfaitement anonyme et légale, sous la forme d’un club quelconque dédié à un sujet particulier. Une procédure d’inscription nécessitant l’examen et l’autorisation préalable de l’administrateur du site permet ensuite d’accéder à la face cachée du dit site. En consultant les messages postés par les autres utilisateurs, il est extrêmement facile de trouver une liste de serveur FTP ayant fait l’objet d’un piratage et donc librement accessible aux utilisateurs désireux de partager des fichiers.
L’intérêt du système réside dans la puissance des systèmes informatiques utilisés à leur insu. En effet, la majorité des internautes connectés à haut débit, le sont via une ligne ADSL classique et ne disposent que d’une faible bande passante montante (Upload). Le volume et la vitesse des téléchargements avec les systèmes Per to Per classiques sont donc naturellement limitée par la capacité d’envoi des utilisateurs.
Le fait de télécharger directement des fichiers depuis un serveur connecté à très haut débit permet de s’affranchir des contraintes de temps jusque là imposée par la vitesse du réseau. En outre, les capacités de stockage considérables des gros serveurs constituent le dernier avantage du système, mais non le moindre! L’utilisation de ces systèmes permettrait de récupérer un film en moins d’une demi-heure

Il est évident que nous entrons là dans un autre registre, puisqu’il ne s’agit plus seulement d’atteintes aux droits d’auteur. L’intrusion dans un système informatique et plus encore sa modification et le fait d’introduire des données au sein de ce système constituent des infractions pénalement sanctionnées par les articles 323-1 et suivant du code pénal .


L’action de la personne ayant abusivement pénétré et modifié le système pourra donc faire l’objet d’une qualification pénale, à condition cependant que l'intrusion soit découverte, et son auteur identifié. Cela ne sera pas chose facile en pratique, en raison du nombre de protections dont s’entourent ces pirates. Qu’en est-il en revanche des profiteurs de la faille qui l’utilisent pour télécharger des contenus en toute illégalité ?
Sans vouloir faire montre d’une mauvaise foi caractérisée, il semble que ces derniers peuvent parfaitement ne connaître que la partie visible de l’iceberg. Ils pourront souvent ignorer, en pratique, l’origine exacte des fichiers qu’ils souhaitent télécharger, puisque les adresses IP des serveurs se résument le plus souvent à une suite de numéros sans autre indication de provenance. Ils pourront donc dans certain cas penser n’avoir accédé qu’à un serveur FTP ouvert et appartenant à un particulier. Sa seule faute se situerait alors sur le terrain du droit d’auteur, et se limiterait donc à l’infraction de contrefaçon commise quotidiennement par des milliers d’utilisateurs utilisant les réseaux Per to Per.
Cependant la frontière est mince et l’élément moral de cette infraction particulièrement difficile à établir. Il semble cependant que le mouvement actuel tende vers une condamnation la plus large possible des intrusions constatées, en considérant par exemple que l’intention de nuire ou que l’utilisation d’une manœuvre frauduleuse n’est pas requise. Une affaire en cours, opposant la société Tati et le site Kitetoa (spécialisé dans la révélation de failles de sécurités) illustre parfaitement la difficulté de cerner la notion d’accès et de maintient frauduleux dans un système d’information. Elle à été jugé par le TGI de Paris le 13 février 2002 mais le procureur a décidé de faire appel de la décision condamnant Kitetoa. L’avenir nous dira sans doute si ce type de téléchargement de fichiers mérite d’être sanctionné sur le terrain du droit pénal, autrement que par l’infraction de contrefaçons.
Il est cependant certain que de la stabilité des réseaux de partage classiques, dépendra l’essor de ces nouvelles pratiques particulièrement violentes. Dans l’hypothèse ou les réseaux classiques feraient l’objet d’une traque intensive, nul doute que les programmeurs sauront imaginer de nouvelles alternatives comme celle qui vient d’être évoquée.


E. Perspectives techniques et juridiques

En l’état actuel de la science informatique, un contrôle total de ces réseaux semble pour le moins improbable. Cela n’empêche nullement certains juristes et plus particulièrement les responsables de maisons d’auteurs d’appeler de leurs vœux l’avènement d’un réseau Internet surveillé de toute part, et dans lequel le moindre échange numérique ferait l’objet d’un contrôle automatique.
Pourtant les tentatives de réglementations et de responsabilisation des acteurs d’Internet tels quelles résultent des dispositions la Loi du 1er août 2000, montrent très clairement les limites d’un tel contrôle.
Il importe de rappeler ici, que les intermédiaires techniques, tels que les fournisseurs d’accès ou, dans une moindre mesure, les hébergeurs de pages ne peuvent en aucun cas assurer un véritable contrôle des données qu’ils stockent ou acheminent.
Avec la meilleure volonté, ces intermédiaires ne sont pas techniquement en mesure de contrôler un trafic qu’ils peinent déjà à véhiculer correctement. Le temps nécessaire aux opérations de calcul ralentirait considérablement le trafic et le temps d’accès aux différents services.
Il est évident que les progrès réalisés en matière de technique, ne pourront pas non plus dans un avenir proche, venir à bout de cette tâche insensée. Même si la capacité de traitement des machines ne cesse d’augmenter, suivant par-là la prédiction du président d’Intel , il est évident que le trafic Internet fait de même. Nul espoir donc de contrôler un jour un trafic, qui suit actuellement une courbe exponentielle .
De plus, les tenants d’un tel contrôle ne l’envisagent que sur la partie « visible » du trafic Internet, constitué des seuls sites accessibles via le protocole http . Prétendre instaurer un système de contrôle concernant les réseaux d’échanges relève de l’escroquerie intellectuelle.
En outre, la mise en place de ce contrôle absolu constituerait une atteinte caractérisée aux libertés individuelles et plus particulièrement au droit de chacun de communiquer librement tel que défini par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ainsi que par l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Je suis pour ma part convaincu de l’essor inexorable des réseaux. Ces derniers étant faits pour partager des informations, il est certain qu’au fur et à mesure de l’augmentation de la bande passante disponible, le volume global des échanges progressera et ceux susceptibles de réaliser l’infraction de contrefaçon se développeront, eux aussi, considérablement.
A titre d’exemple, nous constatons actuellement une utilisation croissante des e-mail. Or, celui ci véhicule aussi son lot de contrefaçons (images et textes humoristiques, articles de journaux, musique…). De la même manière, la démocratisation progressive les connexions haut débit permanentes, induira de nouvelles pratiques, tels que, l’installation de serveurs FTP chez les particuliers et donc de nouvelles contrefaçons.
Ce phénomène se développe d'ailleurs largement et demeurera parfaitement incontrôlable, puisqu'il s'agit d'échanges assimilables à une correspondance privée, dont le secret doit être préservé.
Il serait évidemment contraire à l’équité, de continuer à priver les auteurs de la juste rémunération à laquelle ils sont en droit de bénéficier, en contrepartie de leur travail. Le droit de la propriété intellectuelle n’a pu atteindre sont niveau actuel de développement qu’au prix de longues luttes engagées par ses ayant droits au cours de l’histoire.
Il serait donc particulièrement dommageable de sacrifier cette belle mécanique sur l’autel du tout gratuit revendiqué par une large majorité d’internautes.
Cependant, plutôt que de lutter vainement contre une pratique qui tend à se rependre aussi vite que le réseau gagne de nouveau foyers, d’autres solutions doivent être imaginées afin de replacer l’auteur au centre du système juridique de la propriété littéraire et artistique.


Chapitre II Comment assurer une juste rémunération à l'auteur?


Comme nous venons de le voir, limiter le développement de la copie privée n'est pas chose simple. Quelles que soient les limitations techniques ou légales imaginées, la copie privée n'a jamais pu et ne sera jamais complètement éradiquée. Afin de compenser la perte sèche de revenus qu'elle engendre vis à vis des auteurs, la plupart des pays défendant le droit d'auteur ont mis en place un système de taxe sur les supports vierges qui doit normalement être reversée aux auteurs (§1).
Cependant, les sommes réellement perçus par les auteurs n'ont qu'une valeur très symbolique. La lourdeur des systèmes de répartition et le nombre croissant d'intermédiaires n'y est pas étranger. Pour ces raisons, les auteurs sont doublement victimes du phénomène de copie privée, alors qu'ils devraient continuer à occuper une place centrale au sein des normes du droit d'auteur (§2).


§1. LA REMUNERATION DE LA COPIE PRIVEE PAR UNE TAXE SUR LES SUPPORTS VIERGES

Afin de déterminer la portée exacte des systèmes de rémunération de la copie privée, il convient après avoir évoqué ses origines (A), d'observer de quelle manière et selon quels critères sont perçues ces taxes (B). Nous pourrons ensuite découvrir de quelle manière ces sommes sont redistribuées aux différentes catégories d'ayants droits (C).
La copie privée est devenue un véritable mode de consommation et d'exploitation des œuvres, qui sort largement du champ de l'usage strictement personnel du copiste, autorisé par la loi. L'exception de copie de l'article L.122-5-2 du cpi s'est trouvée contaminée par les moyens de reproduction accessibles aux consommateurs depuis les années 70. Afin d'adoucir les maux des ayants droits, le législateur de 1985 à conçu et institué la rémunération pour copie privée, sans en étendre l'exception et assiette: l'article L.122-5-2 (droits d'auteur) du cpi est demeuré en l'état et l'article L.212-3-2 (droits voisins) adopte une rédaction identique. Ce système, relativement jeune en France s’est progressivement développé dans un grand nombre de pays.


A. Origines de la rémunération pour copie privée

C'est en Allemagne, en 1965 que la rémunération pour copie privée est née. Il aura cependant fallu attendre près de trente ans, pour que la plupart des pays de l'union européenne se dotent d'une législation adéquate dans ce domaine. Cependant, certains pays, comme le Royaume-Uni, l'Irlande et le Luxembourg, résistent de façon opiniâtre et font lourdement sentir leur opinion négative à Bruxelles, pour s'opposer à toute législation nationale. Cela ne les empêche cependant pas d'encaisser, au profit de leurs nationaux, les dividendes venant des pays qui les paient. Les pays de droit anglo-saxon qui utilisent le mécanisme du copyright, ne sont pas très favorable au développement de ce système. Plus généralement ces derniers n'ont guère développé le système de la gestion collective, alors même que celui-ci faciliterait grandement la gestion des autorisations au niveau mondial.
En effet, la rémunération de la copie privée doit nécessairement reposer sur une gestion mutualisée des droits afin de pouvoir assurer une juste redistribution des sommes prélevées. Le système de rémunération repose sur une taxe prélevée sur le prix des supports vierges vendus aux consommateurs, par des organismes collecteurs qui se chargent ensuite de redistribuer ces sommes aux auteurs. Détaillons maintenant le rôle de ses différents acteurs, et l'assiette de recouvrement de cette taxe.


B. L'organisation de la perception des sommes

1. Les assujettis:

Au terme de l'article L.311-4 du cpi, les fabricants et les importateurs de supports d'enregistrements acquittent les sommes perçues par les sociétés de perception et de répartition constituées dans les formes prévues par les articles L.321-1 et suivant du cpi. Comme en matière de TVA, c'est le consommateur qui supporte la charge de cette perception.


2. Les organismes collecteurs:

Au terme de l'article L.311-6 du cpi, "la rémunération prévue à l'article L.311-1 est perçue pour le compte des ayants droits par un ou plusieurs organismes mentionnés au titre II du présent livre"
Une première société civile de perception et de répartition, la SORECOP, a été constituée le 9 septembre 1985 entre la SDRM (qui regroupe elle-même des sociétés d'auteurs: SACEM, SACD, SCAM), la SCPA (qui regroupe la SCPP et la SPPF, producteurs phonographiques), la SPEDIDAM et l'ADAMI (artistes-interprètes) pour percevoir la copie privée phonographique.
Une seconde société civile de perception et de répartition, COPIE France a été constituée le 18 juillet 1986 pour percevoir la copie privée audiovisuelle, entre la SACD, la SACEM et la SCAM pour les auteurs, PROCIREP pour les producteurs de vidéogrammes, l'ADAMI et la SPEDIDAM pour les artistes-interprètes.
Au terme de l'article L. 321-9 du cpi, "Ces sociétés (les sociétés de perception et de répartition) utilisent à des actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation des artistes :
1° 25 % des sommes provenant de la rémunération pour copie privée ;
2° La totalité des sommes perçues en application des articles L. 122-10 (reprographie),
L.132-20 (droits de retransmission par câble, simultanée, intégrale d'une oeuvre télédiffusée), L.214-1 (rémunération équitable pour la communication publique de phonogrammes),
L.217-2 (droits des titulaires de droits voisins pour la retransmission par câble, simultanée, intégrale et sans changement) et L.311-1 (rémunération pour copie privée) et qui n'ont pu être réparties à l'expiration du délai prévu au dernier alinéa de l'article L. 321-1 (10 années à compter de la mise en répartition) ".


3 . La détermination des taux

En réalité, les taux, variables en fonction des assiettes: supports audio ou vidéo, analogiques ou numériques sont déterminés par une Commission de la copie privée.
Le montant de la rémunération est fonction du type de support et de la durée d'enregistrement qu'il permet. Aux termes de l'article L.311-5 du cpi, "Les types de support, les taux de rémunération et les modalités de versement de celles-ci sont déterminés par une commission présidée par un représentant de l'État et composée en outre, pour moitié, de personnes désignées par les organisations représentant les bénéficiaires du droit à rémunération, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les fabricants ou les importateurs des supports mentionnés au premier alinéa du précédent article et, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les consommateurs (…)".
La commission susmentionnée a été constituée à deux reprises: après l'adoption de la loi du 3 juillet 1985 puis lors d'une deuxième session présidée par le représentant de l'État, M. Francis Brun Buisson. Cette deuxième cession avait pour finalité de rendre éligibles les nouveaux supports numériques vierges, à la taxe appliquée jusque là aux seuls supports analogiques. Une décision de la commission du 6 décembre 2001 a réalisé la conversion en euros des taux d'imposition des supports.


Les taux actuellement en vigueur sont donc les suivants:
· Cassette vidéo analogique: 42,84 € pour une capacité d'enregistrement de 100 heures
· CDR-R & CD-RW (Data): 50,43 € pour une capacité d'enregistrement de 100 Go
· DVD-R & DVD-RW (Vidéo): 125,77 € pour une capacité d'enregistrement de 100 heures
· DVD-Ram & DVD-R (Data): 33,80 € pour une capacité d'enregistrement de 100 Go

Lors de la dernière réunion de la Commission, ses membres avaient envisagé d'élargir l'assiette des taxes aux disques durs d'ordinateur. Il est vrai qu'étant donné la capacité actuelle de ces supports de stockage, ces derniers représentent une réelle menace. Cependant les industriels du secteur avaient argué du fait, que l'utilisation première de ces supports n'était pas la réalisation de contrefaçon, et que l'instauration d'une taxe, créerait un déséquilibre significatif des prix vis à vis des autres pays.
Cependant l'idée n'a pas été complètement abandonnée et la commission à élargi par la Décision n°3 du 4 juillet 2002 la taxe aux décodeurs, magnétoscopes et appareils permettant l’enregistrement au moyen d’un disque dur. Cette nouvelle taxe vise directement les nouveaux matériels, tels que les baladeurs Mp3 pourvus d'un disque dur (taxé de 10 à 15 € en fonction de leur capacité). Cependant ces derniers produits disposent maintenant d'une sortie vidéo, et leur capacité permet de stocker aisément plusieurs films. Il semble que la Commission n'ait pas envisagé cette possibilité lors de sa dernière réunion. De même la distinction entre les CD ou les DVD destinés selon les cas à un stockage de données (data) ou artistique (vidéo / audio) est assez incompréhensible, ces supports étant absolument identiques et pouvant être utilisés indifféremment pour l'un ou l'autre usage. En outre, le recours à une échelle de temps est tout aussi gênante. Un CD-Rom vierge peut en effet contenir indifféremment un ou plusieurs film en fonction du degré de compression. Notons que l'arrivée de nouveaux formats vidéos va permettre de diviser la taille d'un film par deux! Faudra-il encore réunir la commission pour tenir compte de ses évolutions?

A ce stade, une autre critique peut être émise. Elle concerne la situation des consommateurs de support vierges qui les utilisent pour enregistrer leurs propres créations. De nombreuses entreprises de même que des particuliers utilisent ces supports afin d'archiver leurs propres travaux. Pourtant ces derniers se voient contraints d'acquitter, eux aussi, la fameuse taxe. Or si le support d'enregistrement est acquis, à une fin autre que l'enregistrement d'une œuvre protégée, la rémunération perd son fondement légal. Pour le moment, seules quelques rares exonérations sont mises en place à destination des entreprises de production et de communication audiovisuelle et des organismes d'aide aux handicapés visuels et auditifs (Art. 311-8 cpi)

Ainsi, Antoine Gitton considère que "la mutualisation de fait entre l'ensemble des acquéreurs ou l'ensemble des usages ne semble trouver aucune justification dans la loi et laisse patente l'illégalité d'une perception "à toute fins", sauf à modifier le texte et à instituer alors une vraie redevance fiscale qui serait alors de la compétence souveraine du parlement".
Après avoir analysé de quelle manière et selon quels critères sont perçues ces taxes, reste à examiner de quelle manière elles sont redistribuées.


C. La redistribution des sommes perçues:

Les sommes perçues ne sont redistribuées par les maisons d'auteur qu'à certaines catégories d'ayants droits, en fonction de critères prédéterminés.


1. Quels sont les bénéficiaires de la rémunération pour copie privée concernant les œuvres audiovisuelles?

Les clés de perception et de répartition confirment la mission de service public des sociétés civiles régies par le titre III, chapitre Il du cpi. Ainsi, aux termes de l'article L.311-7 al.2 du cpi, "La rémunération pour copie privée des vidéogrammes bénéficie à parts égales aux auteurs, aux artistes-interprètes et aux producteurs. La rémunération pour copie privée des œuvres visées au second alinéa de l'article L.311-1 bénéficie à parts égales aux auteurs et aux éditeurs."


2. Comment sont reversé les droits?

La répartition des droits obéit à une logique particulièrement complexe, destinée à respecter un minimum d'équité. L'article L.311-16 du cpi prévoit que les ayants droits à "la rémunération pour copie privée doivent bénéficier d'une répartition "a raison des reproductions privées dont chaque œuvre fait l'objet". Chaque société associée de Sorecop et Copie France procède, au bénéfice de ses membres, à la répartition définitive de ces droits .
L'évaluation du nombre de reproductions privées est évaluée par sondages réalisés par la société "Mediametrie". Concernant les œuvres audiovisuelles, les enquêtes sont conduites auprès d'un échantillon représentatif des foyers français possesseurs de magnétoscopes, qui tiennent un journal des enregistrements vidéos effectués à partir des programmes des chaînes de télévision .
Il apparaît très clairement que ce type d'évaluation ne correspond absolument plus à la réalité des choses. Dans le système actuel, seuls les films enregistrés depuis la télévision sont pris en compte. Il s'agit donc des films bénéficiant d'une forte notoriété, qui sont en général amortis depuis bien longtemps. En revanche, cette évaluation ne tient pas compte de tous les films copiés depuis une vidéo louée ou prêtée. En outre le téléchargement d'un film depuis Internet et la copie de celui ci n'est absolument pas prise en compte, alors même que cette pratique risque de devenir rapidement plus répandue que le simple enregistrement de films télédiffusés.
Enfin, il apparaît que les taxes sur les supports numériques tels que les CD-Rom, sont reversées aux ayant droits de films qui n'ont pas forcément été copiés en numérique, puisqu'il est rare qu'un utilisateur copie un film diffusé à la télévision sur un support numérique. Une cassette analogique VHS sera en général préférée.
Un autre problème fondamental, concerne la faible part qui est effectivement allouée aux auteurs, situés à la fin de la chaîne de répartition. Dans un premier temps, les sommes perçues au titre de la taxe ne sont pas intégralement reversées aux auteurs directement victime de la copie. Comme nous l'avons vu, une partie de ces sommes (25% actuellement et 50 % avant 1997) est destinée à financer la formation des artistes et l'organisation de spectacles vivants. Il est vrai, cependant, que ces secteurs on un besoin urgent de financement qui n'est généralement pas assuré par l'initiative privée. Plus gênante, la complexité du système actuel et la multiplication du nombre d'intervenants, entraîne de très importants frais de gestion et de fonctionnement qui sont absorbés par les maisons d'auteurs.
Il convient pourtant de constater que la rémunération pour copie privée connaît une période d'expansion remarquable puisque certains espèrent que cette rémunération pourrait atteindre 230.000 d'euros (1,5 millions de francs) en 2003.
En outre, une grande partie des sommes perçues, le sont pour le compte d'auteurs étrangers dont les œuvres sont copiées en France. Ces sommes ne leurs sont pourtant pas reversées pour de simples raisons administratives et alimentent le circuit d'aide à la création que nous venons de détailler (art. L.321-9).
A l'arrivé, les auteurs ne perçoivent donc, qu'une très faible part des sommes qui ont été prélevées pour leur compte. Les sommes perçues au titre de la copie privée ne représentent, même pour les "grands" auteurs, qu'une infime partie de leurs ressources, alors que la copie privée tend à devenir un mode majeur de diffusion de leurs œuvres. Pour cette raison le système devrait nécessairement évoluer, afin de prendre une véritable part dans la rémunération des auteurs.


3. L'efficacité du système: de la compensation équitable à une véritable rémunération:

Comme nous l'avons vu, le système français de rémunération pour copie privée est d'avantage assimilable à une compensation qu'à une véritable rémunération. C'est d'ailleurs ainsi que la Directive Européenne du 22 mai 2001 l'envisage. Au terme de l'article 5.2.B de ce texte, l'exception de copie privée est soumise au versement d'une "compensation équitable". Toutefois, la compensation équitable n'est pas une rémunération équitable: elle a une fonction indemnitaire et ne doit pas permettre l'exploitation normale de l'œuvre au moyen de ces exceptions. Au terme du considérant 35 de la directive, il est tenu compte, pour évaluer le montant de la compensation, d'un certain nombre d'éléments, tels que "le préjudice potentiel subit par les titulaires de droits en raison de l'acte en question" ou encore "dans les cas ou des titulaires de droits auraient déjà reçu un paiement sous une autre forme, par exemple en tant que partie d'une redevance de licence, un paiement spécifique ou séparé pourrait ne pas être dû". Puisqu'il s'agit bien d'une compensation et non d'une rémunération, le droit à compensation pourrait être réduit à néant dès lors que le préjudice des titulaires de droit serait lui-même nul, voir minime. Le danger d'une application réelle de cette analyse est bien visible. Or, la rémunération pour copie privée, malgré tous ses défauts et sa lourdeur de fonctionnement gagnerait certainement à être plus largement développée, notamment au niveau communautaire voire international, afin d'assurer aux auteurs l'accès à une juste rémunération qui leur fait pour le moment cruellement défaut .
La copie privée est désormais définitivement incluse dans les mœurs, et les habitudes des consommateurs. La taxe, depuis qu'elle à été récemment élargie, à en outre l'effet pervers de légitimer aux yeux des consommateurs l'usage de la copie. Ils la tolèrent plutôt bien, considérant qu'il est juste de compenser le préjudice causé aux auteurs. Ne serait-il pas souhaitable alors de renforcer quelque peu cette taxe ?
Il apparaît que le coût réel d'un CD-Rom est bien inférieur à celui d'une cassette analogique. Une augmentation raisonnable de la taxe n'aurait pas pour effet de rendre prohibitif le prix de vente de ces supports, et permettrait d'augmenter considérablement la somme des taxes prélevées. Encore faudrait-il que la gestion de ces prélèvements évolue de telle sorte que les sommes prélevées atterrissent directement dans la poche des auteurs, en recourant au moins d'intermédiaires possible. Enfin, peut-être serait-il souhaitable de revoir sérieusement l'assiette des répartitions, afin que les auteurs les plus "vendus" ne récupèrent pas systématiquement la plus grosse partie des sommes prélevées, comme c'est le cas actuellement.
Plus généralement, le bouleversement des modes de diffusions des œuvres depuis le développement des réseaux n'est pas encore tout à fait terminé, et d'autres modes de diffusion de la culture et de l'art sont en train de naître, pour le plus grand bien des populations qui les reçoivent.


§2. VERS UN AUTRE MODELE DE DIFFUSION SANS INTERMEDIAIRES: LA CULTURE POUR TOUS.

Les développements précédents ont permis au lecteur de se rendre compte de la guerre acharnée qui oppose actuellement les principales majors du disque et du cinéma aux pirates et contrefacteurs de tous bords. Cependant ces majors semblent oublier que ces contrefacteurs sont, avant tout, des consommateurs, avides de nouvelles découvertes intellectuelles, ou plus simplement de divertissement.
Les majors, par l'intermédiaire de leurs représentants se sont successivement attaquées aux diffuseurs illégaux, aux créateurs de logiciels, et maintenant, aux consommateurs, par le biais de protections techniques et de textes juridiques les encadrant. Les associations de majors sont donc parvenues à faire admettre que les contrefacteurs ne sont que de vils pirates (A). Cependant, ces même majors ont une fâcheuse tendance à oublier, que ceux qu'elles nomment pirates, ne sont jamais que des amateurs de film et de culture en général, qui constituent en définitive, le public dont les auteurs ont besoin pour exister (B).


A. La rhétorique du conflit: du consommateur au pirate

Il apparaît clairement que les majors ne manquent pas d'imagination dès lors qu'il s'agit de limiter l'usage illicite pouvant être fait des œuvres (1). Cependant, le tout numérique est-il aussi générateur de perte, que les majors voudraient nous le faire croire? (2).


1. Une répression accrue et pourtant inefficace de la contrefaçon:

L'usage montre que l'efficacité des mesures de protection est particulièrement faible. Pour cette raison, les majors envisagent de s'attaquer directement aux internautes qui téléchargent des œuvres contrefaites depuis leur domicile. Plusieurs déclaration de la RIAA et de la MPAA ont été faite dans ce sens. Cela nécessiterait cependant, de procéder à une identification géographique des contrefacteurs et par la suite à des perquisitions à leur domicile. Or, ce genre de pratique risque d'entraîner d'importants abus concernant les libertés individuelles, et ne peut donc pas être mis facilement en place à l'échelle mondiale.

Pour les défenseurs de telles méthodes, il ne s'agit, ni plus ni moins, que de développer les solutions utilisées jusqu'à présent pour luter par exemple contre la contrefaçon de marques. Concernant l'importation d'objets contrefaits, c'est aujourd'hui l'acheteur final qui est condamné lors du passage des frontières. Dans cette logique, plusieurs affaires ont entraîné la condamnation en France d'officines de photocopies, auquel était reprochée la fourniture de moyens. De même en juillet 1999, le gérant de "Laser Storage", une boutique valentinoise qui proposait un service de gravure sur CD-Rom accessible aux particuliers, avait été sévèrement condamné à un an de prison avec sursis et 500 000 francs d'amende .
Nous voyons là se développer des condamnations à "l'américaine", caractérisées par leur sévérité, supposée servir d'exemple. L'intérêt social de telles condamnations est très relatif, mais surtout inadapté à la contrefaçon d'œuvres artistiques. En effet, la contrefaçon de marque, de même que l'achat de supports audiovisuels contrefaits, auprès de "vendeurs à la sauvette" constituent des pratiques évidemment répréhensibles, mais surtout admises comme telle par les consommateurs. Ces hypothèses supposent en effet un enrichissement personnel du contrefacteur au préjudice des auteurs. En revanche, la copie privée est beaucoup trop banalisée pour pouvoir s’accommoder de sanctions aussi lourdes et exemplaires. Ce type de sanctions risquerait d'être incompris des consommateurs qui n'ont pas le sentiment de commettre un acte grave, lorsqu'ils copient ou téléchargent une œuvre pour leur propre compte. De telles sanctions provoqueraient une méfiance et un rejet inévitable des règles du droit d'auteur par les consommateurs, alors que ces lois bénéficient pour l'instant d'un assez large consensus.

Le député américain démocrate Howard Berman soutenu par le républicain Howard Coble envisagent eux d'aller beaucoup plus loin. Ils préconisent en effet d'autoriser les détenteurs de copyright à pirater légalement les systèmes d'échange de fichiers sur Internet. Telle est la teneur d'un projet de loi présenté au sénat le 25 juillet dernier et intitulé "Peer to Peer Piracy Prevention Act". La méthode consisterait à pirater activement ces réseaux d'échange par l'intermédiaire de virus, piratage de nom de domaine, chevaux de Troie…bref, toute la panoplie des armes disponibles sur un réseau. Bien sur, l'internaute dont l'ordinateur serait endommagé ne pourrait porter plainte qu'auprès de l'attorney général, et seulement si les dégâts dépassent 250 $. L'idée étant, de dégoûter les internautes de ce genre de pratiques. Je ne rentrerai pas dans des considérations juridiques démontrant l'illégalité patente d'une telle loi. Tout au plus peut-on remarquer que les USA pourraient s'arroger le droit de pirater le réseau mondial pour protéger leurs seuls auteurs, au mépris des droits des citoyens d'autres pays. De même d'un point de vue technique, l'éradication des virus informatiques constitue une priorité pour tous les utilisateurs, mais visiblement pas pour les associations de majors.

La misère intellectuelle de ce genre de texte juridique, étonne toujours. Cependant il permet de mesurer le niveau actuel des affrontements. Pour le moment les choses en sont à ce stade, et le conflit est en passe de s'enliser. Il est évident que l'utilisation de telles pratiques entraînerait une nette aggravation de la situation. Comment imaginer que les internautes victimes de telles pratiques ne réagissent pas eux même violemment, en s'attaquant par exemple aux sites officiels de diffusion des majors? Il est en outre évident que les premières victimes seront les internautes amateurs ne sachant pas se protéger contre des telles menaces. Les autres, les internautes chevronnés qui usent et abusent de ce genre de réseaux auront tôt fait de détourner de telles attaques, et de développer d'autres systèmes encore plus souterrains.
Mon humble avis, est que ce genre de guerre larvée ne profite à personne, et surtout pas aux auteurs.

2. La copie privée: une menace pour les auteurs?

Les majors et leurs associations respectives nous rappellent sans cesses les millions prétendument perdus du fait de la copie privée et des réseaux d'échanges. Ainsi, Hilary Rosen (présidente du RIAA) applaudit à l'initiative du député Berman et déclare: "Les pirates sapent la croissance des sites officiels; a long terme, ils portent atteinte aux intérêts de l'ensemble des consommateurs. Chaque dollar perdu à cause du piratage est un dollar perdu pour la promotion de nouveaux artistes".

L'impact de l'échange des films sur Internet, n'a pas encore fait l'objet d'études suffisamment approfondies. En revanche, concernant la musique, une étude du cabinet « Peter Hart Researche Associate » commandée par la RIAA en 2001 annonce que 23 % des utilisateurs de réseaux d'échange avouent ne pas avoir augmenté leur consommation de musique au cours de l'année.

Une autre étude citée par la RIAA et réalisé par ses soins via l'IFPI affirme que le piratage de la musique coûterait 4 milliards de dollars par an à l'industrie musicale. Autant d'arguments qui légitiment l'action féroce de la RIAA contre le piratage .
Cependant, d'autres études contredisent largement les précédentes. Selon une étude réalisée par « Jupiter Research », environ 34% des personnes qui échangent régulièrement des fichiers sur Internet disent dépenser plus d'argent aujourd'hui en achat de musique qu'avant d'avoir commencé à télécharger. Seuls 14 % des gros utilisateurs déclarent dépenser aujourd'hui moins d'argent pour acheter de la musique. Cette étude repose sur un sondage effectué en été 2001 sur un échantillon de 3319 personnes. Elle vient contredire les affirmations de l'industrie du disque, selon lesquelles l'échange de fichiers via les réseaux et les gravures de CD sont, en grande partie responsables de la baisse des ventes, enregistrée par les grands labels en 2001.

Il semble que les évaluations financières de la RIAA reposent sur des données erronées. La logique des majors consiste à considérer que tout œuvre copiée constitue un manque à gagner. Or, il est évident que seule, une infime partie des œuvres copiées aurait fait l'objet d'une acquisition légale dans l'hypothèse où le piratage serait impossible.
Les "pirates" - tels que les appellent les majors - sont en majorité jeunes (pour le moment), disposent de peu de revenus, mais du temps suffisant à la recherche sur Internet des œuvres qu'ils désirent. Il est évident qu'ils ne possèdent souvent pas les ressources nécessaires à l'acquisition des œuvres qu'ils consomment gratuitement. Et pour cause, ces dernières sont vendues à des prix étonnamment élevés notamment en France. Environ 20 € pour un CD de musique, près de 25 € pour un film en cassette VHS et plus de 30 € pour un DVD (alors que le support est moins onéreux que celui d'une cassette vidéo!). Sur le prix du support final, quelle somme est effectivement reversée à l'auteur?

En général, les artistes musicaux touchent aux alentours de 8% des bénéfices sur la vente d'un CD, plus ou moins selon leur popularité, ce qui représente environ 1€ à partager entre les artistes ayant contribué au disque (y compris souvent le producteur). L'argent revenant à l'artiste n'est donc qu'une infime part des bénéfices. Les principaux gagnants dans l'affaire sont surtout les maisons de disques, principaux producteurs et diffuseurs des oeuvres, la part revenant au fabricant étant elle-même ridicule (50 centimes d'euro environ). Certes, une partie des sommes est investie dans la promotion de l'artiste lui-même, et une autre encore est absorbée par les multiples intermédiaires qui organisent la diffusion à grande échelle. De même, la taxe nationale importante qui grève ses produits doit aussi être prise en compte. Toujours est-il, qu'un auteur, quel qu'il soit, ne gagne quasiment rien sur la vente de son œuvre.

L'argument des majors qui prétendent défendre et encourager les nouveaux talents est en outre particulièrement fallacieux. La part annuelle des nouveaux artistes dans les bacs des revendeurs (de musique comme de films) est en effet en régression constante, de même que leur diffusion sur les radios ou à la télévision. Il est notoire que les jeunes talents ne trouvent un appui véritable qu'auprès des labels indépendants et des petits producteurs. Lorsque ceux-ci commencent à devenir rentable, les artistes, voire les labels sont rapidement rachetés par les principales majors. Que se soit dans les bacs ou sur les ondes, les majors ne concourent jamais au développement de nouveaux talents, à moins de considérer que les vedettes de Star Académie et de PopStars sont de grands artistes novateurs méritant d'être reconnus, ce que je ne puis concevoir .


B. Du pirate au consommateur:

Lorsqu'on analyse en détail le comportement des principales majors de la planète, force est de constater que l'auteur dans cette histoire semble un peu oublié. Alors que la culture n'a jamais été aussi accessible (1) ne serait-il pas possible d'imaginer d'autres modes de diffusions de cette culture, en replaçant cette fois, l'auteur au cœur du débat? (2)

1. La culture pour tous: un rêve inaccessible?

Actuellement, le développement des réseaux et la numérisation systématique des œuvres, permettraient une diffusion de l'art et de la culture plus large que jamais. Des quantités énormes d'informations sont désormais théoriquement accessibles dans le monde entier. La mise en ligne intégrale et gratuite des cours des universités d'Harvard et de bien d'autres encore à travers le monde, la mise à disposition de milliers d'articles de journaux, de livres, d'images, de son, constituent désormais une gigantesque base de donnée mondiale.

Jusqu'à présent, la diffusion de la culture avait un coût, il fallait imprimer, presser, copier des quantités de supports matériels, afin de les rendre accessibles en divers points du globe. La dématérialisation actuelle des supports permet d'imaginer d'autres modes de diffusion et surtout d'élargir considérablement le public susceptible d'accéder à ces ressources. Le fait qu'une université britannique, par exemple, dispose d'une grande quantité de livres rares, ne prive plus forcément d'autres lieux de ces mêmes ouvrages. Contrairement à un bien purement matériel, la possession par une personne d'une œuvre audiovisuelle ne prive pas les autres de cette même possession, dès lors que la reproduction peut se faire pour un coût dérisoire.

Or, malgré le développement de ces phénomènes, les majors tentent de nous faire croire que la culture et l'art sont encore des ressources rares et tentent d'entretenir une pénurie artificielle de ces biens. La raison économique pour laquelle les choses ont un prix, est directement liée au fait que ces choses n'existent pas en autant d'exemplaires qu'il y a d'individus intéressés par cette chose. Une sélection entre les possesseurs et les non-possesseurs s'opère donc sur le prix de ces produits. Or, ce schéma économique ne correspond plus à celui de l'art et de la culture. Tout au moins pour ceux qui peuvent exister en un nombre d'exemplaires illimités, tel que la musique, les films, les livres. Ainsi, selon Brad DeLong et Michael Fromfin, "les biens savoir et information ne présentent plus les caractères d'exclusivité, de rivalité, de divisibilité, de cessibilité, de difficultés de reproduction et de rareté qui permettaient de marchandiser leur usage, leur fruit et leur reproduction et donc de rendre applicable effectivement les droits de propriété" .

Actuellement les majors ne perdent pas véritablement d'argent par rapport aux années précédant l'essor d'Internet. Tout au plus craignent-elles de perdre de l'argent et des marchés là où il pourrait y en avoir. La culture et le divertissement ont actuellement un coût élevé, que tout le monde ne peut assumer. Doit-on considérer que ceux qui n'ont pas les moyens de payer doivent se retrouver exclus de cet accès à la culture, alors même qu'il n'appauvrirait personne s'il leur était donné gratuitement? Alors que les œuvres anciennes, sur lesquelles ne subsiste plus aucun droits patrimoniaux abondent, il serait légitime de permettre au plus grand nombre d'y accéder via ce "pot commun de l'humanité" que constitue le réseau Internet. Est-il normal de devoir encore payer très cher pour avoir le plaisir de voir un film de Chaplin, lire un ouvrage de Balzac, ou entendre une interprétation musicale d'Enrique Caruso datant de 1902?

Certes, me direz vous, le point commun de ces artistes est qu'ils sont morts et que leurs droits patrimoniaux sont désormais tombés dans le domaine public. Ces auteurs n'ont plus besoin, maintenant, de vivre de leur art, ce qui n'est pas le cas de leurs contemporains.

Nos auteurs actuels, ont besoin de ressources pour exister et exercer leur métier de création artistique. C'est là le fondement même des règles de propriétés littéraires et artistiques que de permettre à l'auteur de vivre du produit de son art. Lamartine s'exprimait ainsi devant la chambre des députés, dans son discours du 13 mars 1841 en tant que rapporteur du projet de loi Villemain qui prévoyait d'instaurer une durée des droits de 50 ans post mortem .
Cependant, leur seule possibilité de gain réside-t-elle dans le fait de limiter au maximum la diffusion gratuite de leur œuvres, et par la même leur diffusion à très grande échelle?
Certains auteurs et non des moindres, n'ont jamais souhaité limiter à ce point la copie privée de leurs œuvres. Des groupes mythiques tels que GratefulDead, ont toujours encouragés leurs fans à copier leurs œuvres, ce qui n'a visiblement pas nui à leur renommée pas plus qu'a leurs revenus. Les débats anciens qui avaient entouré le développement de la propriété littéraire et artistique n'avaient pas manqué de souligner que le destinataire réel des œuvres est le public. Sans lui, aucune création ne pourra vraiment atteindre le statut d'œuvre d'art. Le Chapelier considérait en son temps, que le droit de l'auteur de "disposer de l'ouvrage" doit être vu comme une "exception, car un ouvrage publié est de sa nature une propriété publique".

Les finalités premières de l'art, sont de circuler, pour véhiculer des idées, et changer les opinions. Renouard répondait à Lamartine en 1841 en lui rappelant qu'il n'aurait pas existé "sans la bible, sans Homère, sans Racine et sans Chateaubriand ". Comment oublier en effet que nos auteurs contemporains empruntent sans cesse à d'autres auteurs plus anciens les références et les concepts qui nous tiennent lieu de culture commune. L'art ne peut rester figé indéfiniment et les auteurs doivent pouvoir "s'approprier" ce qui a été fait avant eux afin de continuer d'imaginer, construire et découvrir de nouvelles formes d'art.


Prenant le contre-pied de la tendance actuelle visant à renforcer le droit exclusif des auteurs, d'autres modes de diffusion voient actuellement le jour, inspirés des systèmes juridiques déjà utilisés concernant les logiciels libres. Concernant le logiciel, il s'agit la GNU GPL, ou GNU Général Public Licence (Licence publique générale de GNU) qui émane de la méthode du copyleft (ou "gauche d'auteur") créées sur l'initiative de Richard M. Stallman et développé au sein de la "Freesoftware foundation". Il ne s'agit pas d'un régime d'ouverture du code source (opensource) mais d'un droit de propriété particulier, un droit qui s'installe au cœur de la propriété privée en utilisant les prérogatives que confère ce droit: l'interdiction de privatiser à usage marchand les produits dérivés d'un logiciel laissé en copie libre. Ceci peut s'interpréter comme l'invention dans le domaine du copyright et du brevet d'un équivalent du droit moral de suite. Selon les termes d'Eben Moglen , l'objet de la GNU GPL "est de rendre le logiciel libre en créant un fond commun auquel chacun peut ajouter, mais duquel personne ne peut retrancher".


Depuis peu, ce principe original de licence a été étendu aux œuvres autres que les logiciels, sous la forme d'une licence "GNU Art" . Celle ci reprend le même procédé que celui étudié plus haut. L'auteur d'une œuvre (musique, film, photo…) autorise toute personne à réutiliser tout ou partie de son œuvre, en permettant par exemple à un autre auteur de l'insérer dans ses propres travaux. La seule condition (dans laquelle réside l'ingéniosité du système) est que l'œuvre dérivée devra elle-même être diffusée sous forme de Licence "GNU Art". Les œuvres qui utilisent ce type de licence peuvent, par contre, être distribuées par n'importe quelles personnes y compris à titre payant, sous réserve de faire figurer les mentions propres à la licence GPL .

Ce mécanisme juridique à déjà fait l'objet de nombreuses études, et peut concerner un grand nombre d'auteurs qui ne se reconnaissent pas dans les systèmes classiques de droit d'auteur ou de copyright. Les auteurs ne souhaitent pas forcément, limiter la diffusion de leurs œuvres et considèrent que ces dernières constituent une simple pierre de plus ajoutée à l'édifice de la culture et à partir de laquelle il doit être possible de continuer à bâtir, et donc de s'élever. Ce type de diffusion sous-entend cependant une volonté altruiste de la part de l'auteur. Son œuvre circulera certes, lui apportant reconnaissance et gloire, mais peu de revenus en vérité. Sans tirer un trait définitif sur les régimes actuels de droit d'auteur et sans non plus demander à l'auteur de renoncer à toute perspective financière, il doit être possible de faire évoluer lentement, mais sûrement, les règles de ce droit.
Je suis pour ma part convaincu, que l'Internet offre de nouvelles perspectives de diffusion qui commencent tout juste à se mettre en place. Certains artistes comme "Prince " ont déjà rompu avec les systèmes classiques de diffusion et proposent la vente de leurs derniers albums directement sur le réseau . Ce dernier pourrait avoir comme vertu cachée, de permettre l'émancipation des auteurs, jusque la strictement encadrés par leurs maisons de production.


2. Vers une diffusion directe des oeuvres par les auteurs

Dans le cas d'une diffusion directe des œuvres par les auteurs, le coût de ces œuvres pourrait être considérablement diminué. Les internautes qui rechignent actuellement à acheter les œuvres au prix fort ne seraient-ils pas séduits par ce type d'offre? Même les plus réfractaires accepteraient certainement de payer un euro à l'auteur d'une œuvre qu'ils apprécient, moyennant la possibilité de télécharger un contenu de qualité, sans aléas techniques et, qui plus est, en toute légalité.

Pour le moment les revendeurs physiquement présents dans les villes demeurent indispensables à la diffusion des œuvres, puisque très peu de gens ont accès au réseau Internet à haut débit, seule source actuelle de diffusion alternative de la culture. A terme, et dès lors que les ménages se seront équipés, de multiples possibilités seront envisageables en utilisant les possibilités de streaming et de téléchargement qu'offrent les réseaux. Dans un avenir proche, nos téléviseurs, radio et autres appareils seront systématiquement reliés au réseau, et permettront de démocratiser ce type d'usage. En attendant pourquoi ne pas imaginer des bornes publiques d'écoute, de téléchargement et de gravure permettant pour quelque euros de récupérer légalement une copie matérielle de l'œuvre? La rémunération des auteurs pourrait se faire alors directement via le réseau. Le contact avec la clientèle ne serait pas plus froid qu'il ne l'est actuellement dans ces "supermarchés de la culture" que constituent les grandes enseignes nationales.

Pourquoi ne pas imaginer aussi, que les auteurs deviennent en quelque sorte les clients des diffuseurs, et signent au coup par coup, des contrats de diffusion (non exclusifs) destinés à promouvoir et à diffuser leurs œuvres. Ces auteurs seraient alors placés dans la même situation que les comédiens qui signent un nouveau contrat avec différents diffuseurs pour chaques œuvres qu'ils ont contribué à créer?

Notons que ces perspectives d'évolution ne remettent pas non plus en question la diffusion des œuvres dans des lieux publics. Actuellement la culture et les art sont le plus souvent consommés au domicile des particuliers, et non plus dans les lieux publics. Les consommateurs dans leur immense majorité consomment davantage de films et de musiques confortablement installés dans leur canapé plutôt que dans des salles de spectacles (scènes musicales, cinéma….). Cependant, de la même manière que le cinéma n'a pas tué le théâtre, l'Internet n'annonce pas la fin prochaine des salles de cinéma. Ces dernières (prochainement aidées par le numérique ) continueront à se développer offrant de réels avantages, qui ne pourront jamais être égalés par une installation de "Home Cinéma ", aussi évoluée soit-elle.

L'Internet ne tuera pas l'industrie du film, mais il est évident que celle-ci devra évoluer, et peut être modifier ses sources de revenus, basés non plus sur la qualité des spectateurs (le prix élevé qu'ils sont prêts à payer) mais plutôt sur la quantité de gens avides de découvrir de nouvelles œuvres, et pouvant désormais s'offrir ce luxe.

En définitive, deux perspectives principales s'offrent à nous: soit le système répressif progressivement mis en place par les majors continue à ce développer, avec pour corollaire de nombreuses limites à la diffusion des œuvres, de l'art et plus généralement de la culture, soit un autre système se développe, plus ouvert, plus humain, replaçant l'auteur au cœur du débat, et son public comme principal bénéficiaire des œuvres.

L'histoire a montrée que même les régimes les plus répressifs, ne sont jamais parvenus à contrôler totalement la circulation des œuvres: malgré la numérotation systématique des machines à écrire, les samizdats n'ont jamais cessé de circuler illégalement sous le joug de Staline. Un régime politique qui tente de s'opposer à la libre diffusion de la culture et des œuvres ne peut arriver à ses fins.

Le juste équilibre entre les droits du public et celui des auteurs ne peut naître que d'un consensus librement accepté par ces deux catégories d'individus dont les intérêts sont inexorablement liés. Ce n'est que parce que l'auteur livre à son public le fruit de ses errements, de ses doutes et de ses travaux, que ce public reconnaît en lui un grand artiste, et lui offrira la reconnaissance qui lui est due, et le salaire qui lui permettra de continuer à créer.

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