Le vote d'actionnaires à distance
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L’utilisation de moyens de communication en vue de voter aux conseils et assemblées générales des sociétés anonymes n’est pas nouvelle. Plusieurs systèmes de vote par correspondance ou pas procuration sont couramment utilisés actuellement en vue de limiter les déplacements physiques des actionnaires.
Le développement des réseaux informatiques permet désormais d’envisager la dématérialisation des votes en recourant à des outils tels que l’email ou la visioconférence.
L’utilisation de ces nouveaux outils suppose dans certains cas des pré-requis juridiques et informatiques (I et II). En outre les combinaisons techniques sont assez nombreuses et une mise en place progressive parait donc souhaitable (III).
En effet, chaque usage laisse apparaître un certain nombre de contraintes juridiques et informatiques qu’il est impératif de maîtriser avant de développer et donc de compliquer plus encore la procédure de vote (IV).
1. Conditions juridiques préalables
Principaux textes :
· Loi 2001-420 du 15 mai 2001
· Décret 2002-203 du 3 mai 2002
1.1.Obtenir l'accord préalable des actionnaires
Un accord formel et préalable des actionnaires intéressés est nécessaire pour recourir à la télécommunication électronique en lieu et place d'un envoi postal pour satisfaire à diverses formalités.
C'est le cas en matière :
· de convocation aux assemblées (art. 124 et 125),
· de demande d'avis de convocation ( art. 129),
· d'inscription de projet de résolution à l'ordre du jour d'une assemblée (art. 128 et 131),
· d'envoi de documents et de renseignements visés par les articles 133 et 135 ( art. 138).
La société n’a pas besoin de modifier ses statuts pour effectuer ces démarches.
1.2. Aménager les statuts (Articles L.225-37 et L225-82)
Cet aménagement est en revanche nécessaire pour toutes les hypothèses de vote en ligne que ce soit en direct ou par procuration. L’accord préalable des actionnaires est également nécessaire.
Une clause statutaire doit donc prévoir la participation à l'assemblée par des moyens de télécommunication permettant l'identification des actionnaires (Code du commerce art. L. 225-107).
2. Conditions informatiques préalables
· Existence d’un système d’échange de mails sécurisé (SSL)
· Existence d’un site Internet uniquement dédié au vote et sécurisé par un tiers certificateur (D. art 119)
Identification des actionnaires :
Lorsqu’un actionnaire se manifeste (procuration, vote,…) il est indispensable de déterminer avec certitude son identité ainsi que les droits de vote dont il dispose en fonction du type et du nombre d’action qu’il possède.
· Pour les actions nominatives l’existence d’un code confidentiel donné à l’actionnaire préalablement au vote lui permettra d’accéder au site à tout moment. A défaut, il faudra prévoire une procédure de vérification auprès de la société émettrice (ou de son prestataire de services).
· Pour les actionnaires titulaires de titres au porteur une vérification devra être effectuée en direct par le teneur du compte (réseau bancaire informatisé).
3. Degrés d’informatisation
Plusieurs étapes dans l’informatisation de la procédure sont envisageables :
· Envoie / demande de convocation par email
· Envoie par email des projets de résolution
· Vote à distance
· Vote par procuration
· Participation aux débats et vote par visioconférence
3.1. Envoie ou demande de convocation (D. art. 124 et 125)
Il faut impérativement l’accord préalable de l’actionnaire : envoi d’un formulaire par courrier papier à l’actionnaire, qui le signe et le renvoie ensuite en mentionnant notamment son adresse email.
Les actionnaires ayant donné leur accord pourront, à tout moment, demander expressément à la société, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, le remplacement à l'avenir de l’envoi par email, par un envoi postal (art. 120-1).
Nécessité de mettre en place un procédé de cryptage des mails pour garantir l’authentification, l’intégrité, le traçage, la datation et la conservation des mails.
(Ex : Certificat SSL 128 bits + accusé de réception électronique)
Procédure valable pour les assemblées générales et spéciales sous réserve du respect des délais : respectivement 15 jours et 6 jours avant la date prévue de l’assemblée.
Remarque : la convocation par fax semble impossible car se pose le problème de la preuve.
3.2. Envoi par email des projets de résolutions (D. art. 128 et 129)
Les demandes d’inscription d’un projet de résolution peuvent être adressées par email (authentification + accusé de réception) ou remplies sur le site Internet dédié (identification par login et mot de passe).
Dans le cas d’un envoi par mail, la preuve de la qualité d‘actionnaire doit être apportée de la même manière que si l’actionnaire s’était adressé à la société par voie postale classique.
Ces demandes d’inscription faites par le comité d’entreprise sont accompagnées du texte des projets de résolution, lesquels peuvent être assortis d’un bref exposé des motifs et sont effectués dans les mêmes délais que ceux prévus pour les actionnaires :
· 25 jours au moins avant la date de l’assemblée réunie sur première convocation si la société ne fait pas appel public à l’épargne.
· 10 jours à compter de l’avis de réunion publié au BALO si la société fait appel public à l’épargne.
Le président du conseil d’administration, le président ou le directeur général du directoire ou le gérant de la société par action, accusent réception au représentant du comité d’entreprise des projets de résolution, par lettre recommandée ou par un procédé de télécommunication dans le délai de 5 jours à compter de ;la réception des projets (art. R 432-21 II , Art. 48 du décret NRE).
Pour les sociétés par actions simplifiées (SAS) les règles relatives aux projets de résolution adressées par le comité d ‘entreprise doivent être fixées par les statuts (c trav. Art. R. 432-21 III)
3.3. Vote à distance
Un actionnaire peut manifester son vote de la manière suivante:
· En votant par correspondance
· En donnant procuration à un autre actionnaire ou conjoint
· En adressant une procuration sans mandataire (pouvoir en blanc)
· En étant physiquement présent
- Vote par correspondance avant l’assemblée générale (D. art. 131-1)
Il s’agit de l’équivalent du vote par correspondance papier.
L’actionnaire réclame par mail un formulaire de vote à distance. Cette demande doit être reçue au siège social six jours au moins avant la tenue de l’assemblée.
Le formulaire doit lui être envoyé au plus tard la veille de la réunion de l’assemblée générale, au plus tard à 15 heures, heure de Paris (D. art. 131-3 et 132-1). (pour les formulaires manuscrits le délai est toujours de trois jours avant la réunion)
Il faut donc :
Soit un système de gestion d’email exclusivement consacré à cette fin disposant d’un très haut niveau de sécurité et de certificats d’authentification (Art. 119 du décret). Les formulaires de vote à distance doivent en effet comporter une signature électronique vérifiée et certifiée par un prestataire de service de certification.
Soit un site Internet dédié et sécurisé auquel les actionnaires pourront accéder après s’être identifiés au moyen, d’un code fournis préalablement à la séance (Art. 145-3 du décret).
La connexion sécurisée au site permettra de signer électroniquement le formulaire.
Dans cette hypothèse, aucun mail n’est envoyé : l’actionnaire s’identifie et si les délais courent encore, il est autorisé à remplire en ligne et à signer électroniquement le formulaire.
- Vote par procuration avant l’assemblée générale
Il s’agit de l’équivalent de la procuration papier
La procuration donnée à un actionnaire peut être donnée par signature électronique.
Les instructions comportant procuration adressée par mail ou les pouvoirs donnés par l’intermédiaire du site Internet pourront parvenir à la société jusqu'à la veille de l’assemblée au plus tard à 15 heures (heure de Paris) (Art. 131-3 et 132-1 Décret)
Dès réception de ces instructions, celles ci seront irrévocables hors cas de cession de titres à la suite duquel, l’actionnaire aura recours à la procédure de révocation expresse de l’immobilisation de ses titres (art 136 al 3).
Que la procuration soit effectuée par mail ou sur le site, l’actionnaire doit avoir pris connaissance de tous les documents propres à l‘information des actionnaires (Article 133 al.1 et 135 du décret du 23 mars 1967).
Les formulaires doivent comporter les mêmes mentions que la procuration papier (Art. 134 du décret) et permettront de donner les même types de procuration que la version papier (à un autre actionnaire, pouvoirs en blanc…)
4. Participation aux débats et / ou vote par visioconférence
Il s’agit de la possibilité la plus difficile à mettre en place. La visioconférence suppose une grosse bande passante du coté du serveur mais aussi à partir du point d’accès de l’actionnaire au réseau Internet. En outre, dans l’hypothèse d’un vote « en direct » de nombreux systèmes de sécurité et d’authentification devront être mis en place.
Deux possibilités sont envisageables :
· Vote préalable à l’assemblée et suivis des votes par visioconférence
La visioconférence n’est alors qu’un accessoire qui permet de suivre les débats sans interaction possible de l’actionnaire. Celui ci ayant préalablement voté (par correspondance ou par procuration) n’est que spectateur.
· Vote en direct au même moment que les actionnaires présents physiquement à l’assemblée.
Dans cette hypothèse, un système de sécurité de haut niveau doit être mis en place puisque l’actionnaire sera amené à voter en temps réel.
Dans cette dernière hypothèse :
· « Les moyens utilisés doivent satisfaire à des caractéristiques techniques garantissant la participation effective » (D. art. 84-1 et 108-1)
· Les délibérations doivent être retransmises de façon continue, c’est à dire sans coupures ou interruptions.
· Les actionnaires seront réputés présents pour le calcul du quorum et de la majorité (D. art. 86 et 110)
· L’actionnaire aura un temps limite pour voter puisqu’il vote au même moment que les actionnaires présents physiquement à l’assemblée.
· Le procès verbal des délibérations doit faire état des incidents techniques relatifs à la visioconférence ou à la communication électronique lorsqu'il a perturbé le déroulement de l’assemblée ( Art 145-4 du décret)
· La feuille de présence doit faire état des actionnaires présents ou réputés présents.
Exclusions :
Les décisions suivantes ne pourront pas faire l’objet d’un vote par visioconférence :
· Nomination ou révocation ou modification de la rémunération du président, du directeur général et des directeurs généraux délégués.
· Etablissement des comptes annuels et du rapport de gestion
· Etablissement des comptes consolidés et du rapport de gestion du groupe
(Il est toujours possible d’étendre les cas d’exclusion dans les statuts)
Remarque :
Afin de garantir un mode de preuve à l’actionnaire, il est possible d’utiliser un logiciel qui enregistre le parcours de l’actionnaire sur le site et le garde sous « scellé ».
Le recours à un tel procédé ne dispense pas la société de mettre en place sur le site un système d’archivage et surtout d’enregistrement des « logs » informatiques permettent de reconstituer ultérieurement le déroulement du vote en vue de contester se validité.
4. Remarques concernant le tableau technique
4.1. Coté actionnaires distants
Celui ci, en schématisant, aura accès à deux fenêtres principales :
· L’une lui permettant de voir les autres actionnaires distants ainsi que la salle de vote principale.
· L’autre reproduisant le formulaire classique de vote papier lui permettra de voter en direct ou d’effectuer à l’avance une procuration. L’authenticité du vote est garantie par une signature électronique, dont le procédé est lui-même garantis par un tiers certificateur.
4.2. Coté Entreprise
Le vote est organisé comme d’habitude dans un espace donné au sein duquel sont physiquement présent les actionnaires qui se seront déplacés.
Parallèlement, les actionnaires distants suivent le déroulement des débats par l’intermédiaire des webcam et autres moyens de communication.
Après les discussions auxquelles participe l’ensemble des actionnaires, par l’intermédiaire des webcam, a lieu le vote.
Celui ci se déroule en réalité en plusieurs étapes :
Le SAS
Ce sas est idéalement constitué d’un ordinateur distinct de celui qui enregistre les votes et permet d’effectuer un certain nombre de vérification avant de pouvoir enregistrer le vote.
· Identification des actionnaires par l’intermédiaire d’identifiants uniques (titres nominatifs) ou par l’intermédiaire d’une connexion au réseau informatique de la société émettrice ou de la banque pour les titres au porteur.
· Détermination du nombre de voies dont dispose l’actionnaire et du nombre de voies qu’il souhaite utiliser. Ici encore une connexion au réseau bancaire est nécessaire. C’est le point qui pose le plus grand nombre de problèmes techniques en raison des difficultés systématiques d’interconnexions entre plusieurs réseaux informatiques hautement sécurisés.
· Vérification des modalités de votes choisies par les actionnaires afin de vérifier par exemple qu’un actionnaire ayant donné procuration ne tente pas de voter en direct une seconde fois.
· Enregistrements successifs des votes des actionnaires présents physiquement ou distants.
· Imputation automatique des voies au tiers auxquels une procuration a été préalablement donnée
L’urne
Il s’agit d’un autre ordinateur qui comptabilise l’ensemble des votes et doit en outre générer une feuille de présence tenant compte des actionnaires distants.
L’affichage
Le résultat des traitements précédent est affiché dans le détail sur le site Internet sécurisé pour l’information des actionnaires.
L’archivage
Il s’agira d’une base de donnée enregistrant d’une part les résultats des votes successifs et d’autre part l’ensemble des évènements informatiques (trafic, authentification, incidents techniques…) permettant de contester ultérieurement le déroulement du vote.
4.3.Coté Banque
Les organismes financiers disposent de réseaux informatiques puissants permettant de vérifier à tout moment la réalité d’une opération ou la titularité d’un porteur d’action. La réalisation d’un vote à distance nécessite donc préalablement la création de passerelles entre les systèmes informatiques de l’entreprise et celui des banques.
4.4. Coté tiers certificateur
Il s’agira d’un organisme distinct proposant des solutions de cryptage de données et bénéficiant d’un agrément lui permettant de certifier les clés de cryptages utilisées.
En outre, ce tiers (SSII informatique) devra pouvoir garantir la sécurité de l’ensemble du système et donc de s’engager contractuellement sur ce point
Remarques finales :
Il est souhaitable comme dans tout projet informatique de mettre en place progressivement les différentes étapes jusqu'à l’intégration informatique totale.
La liste du III peut constituer un modèle possible d’informatisation qui débute simplement par le remplacement des correspondances papier et se termine par une dématérialisation totale du vote et des débats.
La technologie, encore hésitante sur un certain nombre de points, ne permet pas encore de garantir la réussite totale d’une telle opération.
Cependant, toutes les techniques citées sont chacune couramment utilisées de manière indépendante dans les relations commerciales classiques.
Il n’est donc pas illusoire d’envisager une intégration informatique totale comportant la dématérialisation partielle des débats (salle de vote + actionnaires distants équipés de webcam) et du vote (vote à distance sur le site Internet+ vote physique dans la salle).
L’intégration totale pourra être considérée comme achevée lorsque le vote fera intervenir à la fois des actionnaires distants et d’autres présents physiquement utilisant par exemple des boîtiers de vote électroniques eux même reliés au système informatique.