Comparaison n’est pas raison

A l’approche des fêtes de Noël, chacun se préoccupe de trouver le cadeau idéal et, si possible, au meilleur prix, lequel se trouve assez fréquemment sur les sites de vente en ligne.L’approche, désormais classique, consiste à taper le nom du produit tant convoité sur un moteur de recherche sérieux. L’offre pléthorique du net s’offre alors à vous, c’est du moins ce que vous pouvez légitimement penser. C’est là que les illusions commencent !

Les réponses données par les moteurs de recherche renvoient en premier lieu vers les sites des comparateurs de prix, d’abord par l’intermédiaire de liens sponsorisés, et donc biaisés, ensuite par l’intermédiaire des pages de réponses normales.

La possibilité d’effectuer un rapide tour d’horizon des offres proposées sur le marché semble, évidemment, intéressante, et laisse présager, en outre, un gain de temps non négligeable. Les sites des comparateurs de prix promettent, en effet, de dénicher le meilleur prix du web, parmi plusieurs milliers de vendeurs. Ils se gardent bien, en revanche, d’exposer clairement leurs méthodes de fonctionnement.

Il convient, en premier lieu, de souligner que, contrairement aux marchands en ligne ou cybermarchands soumis au respect des dispositions relatives au droit de la consommation, les comparateurs de prix entendent, eux, s’exonérer de toute responsabilité dans les offres qu’ils proposent.

Les comparateurs ne précisent pas, le plus souvent, la fréquence d’actualisation de leurs offres, les conditions de livraison, la disponibilité des produits et surtout, les liens qu’ils entretiennent avec les marchants en ligne. Or, il apparaît que certains comparateurs sont directement détenus par ceux dont ils proposent les offres. C’est notamment le cas du site Odopo, comparateur de voyages, qui appartient à quelques compagnies aériennes seulement, et ne diffuse donc évidemment que les offres de ces dernières.

En second lieu, suite aux nombreux rachats d’entreprises dans ce secteur, d’autres sites maintiennent une concurrence totalement artificielle, puisqu’ils appartiennent, en réalité, à la même société ; ils affichent donc quasiment les mêmes résultats.

Surtout, les comparateurs de prix ne proposent strictement que les offres des marchands en ligne qui acceptent de payer – souvent très cher - le droit de figurer dans les pages de résultats. En effet, alors que les comparateurs se vantent largement de contribuer à la transparence des prix, ils n’affichent, en réalité, que les produits de certains commerçants, et parmi ces commerçants, de quelques produits seulement.

En pratique, les comparateurs proposent à un commerçant de faire figurer ses produits dans une ou plusieurs de leurs catégories et facturent, ensuite, chaque clic d’un consommateur vers le site du vendeur à un coût variable et librement négocié entre le comparateur et le commerçant. Un seul clic coute souvent de 10 à 30 cents d’euros.

Le commerçant peut choisir de limiter, ou non, le nombre de clics maximum sur une période, afin d’éviter de voir sa facture dépasser un certain plafond, en cas de gros succès du produit proposé. Dans ce cas, à l’issue du nombre de clics payés, le produit disparaît purement et simplement de la catégorie, même si l’offre du vendeur demeure la plus intéressante sur le marché, et bien que le même commerçant continue d’apparaître dans d’autres catégories dans lesquelles son quota n’est pas encore atteint. Cette pratique, au sujet de laquelle les consommateurs ne disposent d’aucune information, leur est donc particulièrement préjudiciable.

Plus grave encore, l’affichage de pages ne dépend pas seulement des prix proposés, mais également des accords confidentiels conclus entre le comparateur et le commerçant. Les commerçants sont ainsi incités à surenchérir pour apparaître en tête de la liste des résultats proposés, ce qui a, évidemment, pour effet de nuire encore un peu plus à l’objectivité des résultats proposés. Or, l’internaute moyen n’a pas forcément le réflexe de modifier sa requête pour classer la liste par prix, et se contentera de cliquer sur les premiers liens qui lui son proposés.

A l’arrivée, la comparaison présentée comme objective est, en réalité, volontairement restreinte aux plus gros acteurs du marché, seuls susceptibles de payer les tarifs exorbitants réclamés, empêchant, du même coup, l’accès du marché de la vente en ligne à de petites structures.Ces droits d’accès se payent, en effet, très cher : les grandes enseignes de vente en ligne dépensent souvent plusieurs millions d’euros par an, simplement pour pouvoir apparaître de temps en temps sur le site d’un seul comparateur.

Même les marchands en ligne importants, qui se livrent une concurrence acharnée sur les prix - principal critère d’achat sur internet - n’ont d’autre choix que d’adhérer au système pour pouvoir tout simplement exister. A l’heure actuelle, la concurrence s’exerce donc davantage sur la visibilité des offres que sur les prix des produits, lesquels varient assez peu, notamment pour les produits technologiques.

Les principaux acteurs du marché hésitent à dénoncer ces pratiques, non seulement parce qu’elles drainent une clientèle importante sur leurs sites, mais surtout de peur voir la grille tarifaire totalement opaque augmenter l’année suivante, et en raison de possibles représailles indirectes.

Les entreprises ne disposent, en effet, d’aucun moyen de contrôler le respect par les comparateurs de leurs engagements, ni même d’ailleurs le volume de clics facturé, celui-ci étant calculé par le seul comparateur. Dès que le nombre de produits et le trafic devient important, il devient quasiment impossible de contrôler l’affichage effectif des produits pendant la durée prévue, ce qui donne lieu à toutes sortes d’abus.

De toute façon, certains comparateurs vont même jusqu'à exclure, dans leurs conditions générales, leur responsabilité lorsqu’un produit du commerçant n’apparaît pas sur leur site, ce qui devrait pourtant constituer une obligation de résultat. A l’arrivée, les comparateurs de prix sont donc très loin de proposer effectivement l’offre la plus intéressante du moment, et se limitent à afficher l’offre du commerçant qui aura payé le plus cher pour figurer en tête des résultats.

De telles pratiques perdurent malheureusement, faute d’une information suffisante des consommateurs, pressés d’être rassurés sur le prix de leur acquisition, vis-à-vis de cybermarchands qui sont, encore à l’heure actuelle, l’objet de toutes les suspicions suite aux pratiques et aux faillites frauduleuses de précurseurs, tels que « pèrenoel.fr ».

Elles subissent donc les conditions imposées, et largement discrétionnaires, des principaux comparateurs, dont la seule activité réelle consiste à rechercher à tout prix le meilleur référencement sur les moteurs de recherche ou les principaux portails du web.

Ils y parviennent d’ailleurs aisément, d’une part en achetant une multitude de liens sponsorisés et en signant des partenariats aves les sites les plus consultés, d’autre part en raison de la structure même de leurs pages internet. Celles-ci affichent, en effet, pour chaque vendeur les mêmes références produits, qui apparaissent donc plusieurs fois de suite, et permettent de bénéficier automatiquement de critères de pertinence élevés dans le référencement des moteurs de recherche.

Ces sites se retrouvent donc en tête des résultats obtenus sur un moteur, et drainent donc une grande part des internautes sur leurs sites, au détriment des entreprises proposant réellement des produits à la vente, et en définitive aux consommateurs.

En outre, certains comparateurs ont été directement rachetés par des moteurs de recherche. C’est le cas de la société Yahoo, qui a racheté la société Kelkoo et le comparateur du même nom, laquelle venait elle-même de racheter le comparateur Monsieur Prix. Il n’est donc pas étonnant que les pages de Kelkoo et Monsieur Prix arrivent en tête des résultats fournis par Yahoo sur une recherche de produits.

Cette nouvelle niche de l’internet, génératrice de revenus élevés, repose donc sur des pratiques manquant, pour le moins, de transparence. Car, bien que certains comparateurs daignent rappeler clairement l’absence d’exhaustivité de leurs résultats, ils s’abstiennent, en revanche, systématiquement d’expliciter la nature de leurs relations avec les commerçants ou les moteurs de recherche.

Certains de ces comparateurs en viennent, maintenant, à proposer leurs propres fiches produits, ainsi que des conseils d’achats, et s’octroient généreusement l’étiquette de « e-commerçants ». Pourtant, ces sites ne respectent, la plupart du temps, aucune des dispositions légales relatives à l’information des consommateurs, et précisent d’ailleurs dans leurs conditions générales d’utilisation – sous réserve qu’elles existent – qu’ils ne garantissent en aucun cas la véracité et l’exactitude des informations qu’ils publient.

Il est fort probable que ces informations soient elles-mêmes largement influencées par les relations commerciales entretenues avec tel ou tel vendeur ou fabricant. La plus grande prudence est donc de mise. Plus généralement, les internautes devront donc désormais faire preuve d’un peu plus de curiosité pour être certains de dénicher les bonnes affaires. Il faudra aussi que les comparateurs de prix prennent conscience de la nécessité d’une réelle transparence à l’égard des internautes.  
Les pouvoirs publics, mais également les associations de consommateurs, et sans doute aussi les justiciables, auront indéniablement un rôle majeur dans cette prise de conscience.

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